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Moderniser le processus électoral – Recommandations du directeur général des élections du Canada à la suite de la 37e élection générale


Partie 8 : Élargir le champ d'application de la Loi électorale du Canada

Tous les événements déterminants d'une élection ne se produisent pas durant la période électorale de 36 jours. Ainsi, les partis politiques ont une activité constante et peuvent recueillir des montants appréciables en dehors de cette période. Par ailleurs, les campagnes d'investiture peuvent avoir lieu bien avant l'élection. Pourtant, la raison d'être de ces campagnes est de choisir des candidats en vue du scrutin.

Les recommandations de la présente partie visent à élargir l'application de certaines dispositions de la Loi électorale du Canada à d'autres éléments qui sont intimement liés aux élections, bien qu'ils se situent en dehors des campagnes électorales. Nous recommandons ainsi d'élargir les obligations en matière de divulgation aux fiducies établies principalement à des fins électorales, aux associations de circonscription ainsi qu'aux campagnes d'investiture et de direction des partis – autant d'éléments si intimement liés aux élections que la divulgation s'impose, au nom du droit du public de savoir et dans l'intérêt d'un vote éclairé.

Dans le même ordre d'idées, étant donné que les partis et les associations de circonscription peuvent utiliser des fonds qui ont pu venir indirectement de sources publiques pour les campagnes d'investiture et de direction, nous recommandons également que les principes régissant les excédents des candidats aux élections s'appliquent aux aspirants à l'investiture ou à la direction des partis.

8.1 Élargir le champ d'application des obligations de divulgation

La Loi électorale du Canada prévoit des obligations de divulgation financière depuis son entrée en vigueur en 1874. Les agents officiels étaient alors tenus de déposer un état des dépenses électorales. La Loi a évolué au fil des ans, à mesure qu'on prenait conscience de l'importance de la divulgation. L'obligation de produire un état détaillé des contributions, paiements, prêts, avances, dépôts ou promesses d'argent a été imposée aux agents officiels en 1908. L'obligation de divulguer les noms des donateurs a été introduite en 1920. Les partis enregistrés ont été assujettis aux obligations de divulgation en 1974 par la Loi sur les dépenses électorales et, en 2000, les tiers ont été soumis à un régime de divulgation des contributions utilisées à des fins de publicité électorale.

Le principe directeur minimal est qu'il faut déclarer toute transaction répondant aux deux critères suivants : la transaction doit être raisonnablement considérée comme susceptible de créer un engagement dans la politique ou les actions des candidats, ou des partis qui les soutiennent; et elle doit avoir un lien raisonnable avec le travail du Parlement. Ces critères s'appliquent aux éléments à propos desquels nous recommandons ci-après une plus grande divulgation74.

La Loi électorale du Canada reconnaît déjà le principe de la divulgation de diverses façons. Le moment est venu de reconnaître que d'autres types d'opérations sont si étroitement liées au processus électoral qu'elles doivent aussi être divulguées pour qu'on puisse prétendre que le public fait un choix éclairé.

Les recommandations qui suivent portent sur des opérations qui satisfont aux deux critères énoncés plus haut : elles sont susceptibles de créer un engagement et elles ont un lien raisonnable avec le travail du Parlement.

8.1.1 Déclaration de la source originale des contributions versées à des candidats par des fiducies politiques

Les fiducies politiques reçoivent des sommes importantes. Les fonds provenant de ces fiducies peuvent constituer une partie appréciable du financement électoral d'un parti ou d'un candidat. Au nom du principe de la transparence, la source originale de ces fonds transférés devrait être divulguée.

L'Annexe du rapport du directeur général des élections du Canada sur la 35e élection générale – Consolider les assises signalait que les fiducies politiques sont devenues une source importante de soutien non identifiable pour les élections, ce qui va à l'encontre du principe de la transparence. Le rapport citait W.T. Stanbury (L'argent et la politique fédérale canadienne : Le financement des candidats et candidates et des partis, 1991, p. 487), qui a recommandé que toute nouvelle fiducie politique soit interdite et que celles qui existent ne puissent accepter d'autres contributions. Reconnaissant que les fiducies établies par des partis constituent un élément du financement électoral qui échappe au regard public, Consolider les assises recommandait que les fiducies établies à des fins politiques soient tenues de nommer un agent, de s'enregistrer auprès du directeur général des élections et de déposer des rapports annuels vérifiés auprès de l'agent financier principal du parti et du directeur général des élections.

L'article 428 de la Loi exige que les fiducies établies par des partis enregistrés aux fins d'une élection déposent un rapport de contributions et de dépenses. Cette disposition ne s'applique qu'aux fiducies établies par un parti pour une élection. Cependant, les dons à des fonds non couverts par l'article 428 mais utilisés pour financer des activités reliées à une élection ne sont pas rendus publics, ce qui va à l'encontre du principe de la divulgation totale75. Un problème similaire se pose dans le cas des fiducies pour candidats visées par les alinéas 451h) et i).

Il faut étendre la portée des dispositions de la Loi qui régissent les fiducies politiques. Ces dispositions devraient englober non seulement les fiducies qu'un « parti enregistré constitue […] pour une élection » mais aussi « les fiducies et autres entités qui ont comme fonction principale le financement de toute activité liée à une élection ». En outre, conformément au principe de la transparence, la définition devrait englober toute fiducie établie principalement pour le financement d'un aspirant à la direction ou à l'investiture d'un parti.

Recommandation : La définition de fiducie politique devrait comprendre toute fiducie principalement créée à des fins électorales, y compris les campagnes de direction et d'investiture.

8.1.2 Rapports des associations de circonscription

En introduisant dans la Loi électorale du Canada, en 2000, le régime régissant la publicité électorale des tiers, le législateur reconnaissait officiellement que les partis et les candidats ne sont pas les seuls intervenants dans les élections modernes. Le rôle et l'impact importants de la publicité des tiers en période électorale justifiaient cette mesure. Nous recommandons ailleurs dans ce rapport que les partis admissibles soient plus complètement assujettis au régime actuel de droits et d'obligations en matière de rapports. De la même façon, le moment est venu de reconnaître qu'il reste une catégorie d'intervenants électoraux dont l'impact politique n'est pas encore pleinement pris en considération dans la Loi, soit les associations de circonscription, qui existent pour des raisons politiques et remplissent un rôle important. La Loi leur confère déjà des droits (notamment celui de transférer des fonds aux partis et aux candidats) et elles reçoivent des fonds publics (par le biais des fonds excédentaires des candidats). Mais elles ne sont que partiellement assujetties aux obligations de divulgation76.

Les associations de circonscription jouent un rôle important dans le processus électoral. Elles peuvent financer les activités du candidat avant l'émission des brefs, recueillir des fonds entre les élections sans émettre de reçus et recevoir des excédents électoraux (dont une part provient des fonds publics) importants des candidats. L'annexe de 1996 signalait que les dirigeants des partis nationaux savent souvent peu de chose des finances des associations locales. Celles-ci ne sont pas tenues, au niveau fédéral, de s'enregistrer ni de divulguer leurs activités financières, bien qu'elles soient obligées de le faire au niveau provincial, dans certaines provinces (Ontario, Québec, Alberta, Colombie-Britannique, Nouvelle-Écosse et Nouveau-Brunswick).

La Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis (Commission Lortie) et le Comité spécial sur la réforme électorale ont tous deux relevé des lacunes appréciables dans l'information mise à la disposition du public sur les opérations des associations locales77.

La Loi exige que les rapports financiers des partis enregistrés et les rapports de campagne des candidats précisent les nom et adresse de tous ceux qui ont versé plus de 200 $ lorsque l'association locale a transféré des dons à la campagne d'un candidat (al. 424(2)c) et 451(2)h)). Lorsqu'il est impossible d'identifier expressément le donateur, comme dans le cas de contributions regroupées dans une fiducie ou une association, le candidat doit divulguer l'identité de tous les donateurs d'une fiducie ou d'une association qui ont versé plus de 200 $ depuis la dernière élection.

Ces dispositions reconnaissent les associations de circonscription, mais seulement dans le contexte de la transmission directe de contributions à des partis et à des candidats. Pourtant, l'association de circonscription est un mécanisme politique important pour le soutien des candidats ou des aspirants candidats entre les élections et pour le fonctionnement des partis au niveau local. Les principes en vertu desquels les partis doivent produire des rapports financiers annuels valent aussi pour les associations locales. Tant que les associations ne seront pas tenues de s'enregistrer et de produire des rapports financiers, une partie du financement à la disposition des partis et des candidats peut rester occultée. Tout régime à divulgation partielle permet des opérations qui échappent au regard public et vont à l'encontre d'un des principes fondamentaux de la Loi.

Cette recommandation a été faite, sous une forme semblable, dans Consolider les assises.

Recommandation : Toute association de circonscription liée à un parti tenu de produire des rapports en vertu de la Loi devrait, si elle effectue des opérations financières, être soumise à des obligations de déclaration.

La personne nommée par l'association pour encaisser ou débourser l'argent serait tenue de faire rapport de ces opérations tous les ans au directeur général des élections.

8.1.3 Rapports financiers des aspirants à l'investiture d'un parti

Si la majeure partie du financement des élections est maintenant déclarée et rendue publique, les sources de financement de ceux qui postulent l'investiture d'un parti dans une circonscription n'ont pas à être déclarées.

Le choix d'un candidat est évidemment un élément clé du processus électoral. Les dons versés à la personne choisie par le parti le mieux placé pour gagner l'élection constituent en réalité des contributions non divulguées. Quoi qu'il en soit, les candidats jouent un rôle actif dans le processus électoral et toute influence financière susceptible de s'exercer sur eux devrait être connue78.

Pour assurer une vraie transparence dans le financement des élections, la Loi doit garantir la transparence à toutes les étapes du processus menant à l'élection d'un député. Il ne semble y avoir aucune raison d'exiger la déclaration des sources de financement des aspirants qui ont perdu. Cependant, les contributions et les dépenses du candidat choisi par le parti devraient être déclarées après la désignation du candidat et la confirmation de sa candidature. Les fonds excédentaires devraient être traités de la même façon que les excédents de campagne, c'est-à-dire transmis à l'association locale ou au parti enregistré79.

Il y a lieu de se demander, par ailleurs, s'il conviendrait de plafonner les dépenses d'investiture. Actuellement, la Loi ne limite que les dépenses pour les avis d'assemblées d'investiture tenues en période électorale, dépenses qui ne doivent pas dépasser 1 % du plafond des dépenses imposé aux candidats dans la circonscription à l'élection antérieure.

Comme les dépenses d'investiture ne sont pas plafonnées, le fait d'engager des dépenses abusives pour des assemblées d'investiture pourrait nuire à l'objectif des plafonds et miner le principe d'équité. Non seulement les candidats peuvent-ils profiter des retombées éventuelles de ces dépenses sur leur campagne électorale, mais l'absence de réglementation des dépenses d'investiture donne aussi l'avantage aux candidats dotés des ressources financières les plus importantes. Puisque l'obtention de l'investiture d'un parti est le premier défi à relever pour un candidat, il convient de réduire au minimum les obstacles inutiles à la participation au processus d'investiture.

La Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis a recommandé que les dépenses de campagne d'investiture soient plafonnées, que ces limites constituent des seuils maximaux et que tout parti pourrait choisir de se fixer un plafond plus bas.

Recommandations : Les contributions reçues et les dépenses engagées par un aspirant à l'investiture d'un parti devraient être déclarées et publiées de la même manière que les contributions et dépenses d'un candidat aux élections.

Pour ce rapport, le candidat devrait être soumis à la même date limite que pour le rapport de campagne électorale et avoir le même droit de prorogation.

Les plafonds de dépenses d'investiture devraient être établis selon l'estimation des plafonds de dépenses d'élection calculée chaque année en vertu de l'article 442.

8.1.4 Rapports financiers des aspirants à la direction d'un parti

La Loi électorale du Canada n'exige pas de déclaration financière de la part des aspirants à la direction d'un parti. Les campagnes de direction sont considérées comme des questions privées et ne sont donc régies par aucune législation. Or, le choix du chef d'un parti peut être un fait politique extrêmement important. La transparence financière dans ce cas peut être considérée comme aussi importante que pour une élection80.

Les campagnes de direction ont toujours été traitées comme l'affaire interne d'un parti plutôt que comme une question publique. Les partis considèrent qu'ils choisissent leur chef par un processus interne et qu'ils se présentent ensuite à une élection générale comme un tout, avec un programme, un chef et ses candidats. Le chef a sans conteste une grande influence sur la réussite du parti et il compte toujours beaucoup dans le choix de l'électeur.

Par ailleurs, le financement des aspirants à la direction peut être acheminé par l'agent principal du parti et provenir des dons déductibles aux fins de l'impôt. Cependant, aucune information n'est publiée, en général, sur la répartition de ces fonds entre les aspirants.

L'Annexe du rapport du directeur général des élections du Canada sur la 35e élection générale – Consolider les assises préconisait la divulgation en citant Stanbury : « [les campagnes de direction] supposent la collecte et le déboursement de millions de dollars et [sont] souvent financées, en partie, par des dons pour lesquels des reçus d'impôt sont délivrés » (Stanbury, 1991, p. 412)81.

Dans son étude intitulée Do Conventions Matter: Choosing National Party Leaders in Canada (1995, p. 377), John Courtney écrivait : « … le moment est propice pour que l'État participe à l'établissement des règles du financement des campagnes de direction. » Courtney proposait aussi la limitation des dépenses, en soutenant que ces campagnes sont du domaine public.

C'est dans le cadre de campagnes de direction que sont choisis les futurs premiers ministres et chefs de l'opposition. Même les perdants peuvent conserver une influence au Parlement. Dans tous ces cas, l'argument en faveur de la transparence financière paraît péremptoire.

Des plafonds fixés par le Parlement devraient également être imposés pour les campagnes de direction.

Recommandation : Les contributions reçues et les dépenses effectuées par un aspirant à la direction d'un parti, qu'il soit choisi ou non, devraient être déclarées dans les quatre mois suivant l'élection du chef et publiées de la même manière que pour le rapport de campagne électorale du candidat.

8.2 Fonds excédentaires des campagnes de direction et d'investiture 

En vertu du principe selon lequel un candidat ne devrait pas tirer un profit personnel d'une campagne électorale, la Loi exige que tout candidat soutenu par un parti enregistré et disposant d'un excédent de fonds à la fin de la campagne verse cet excédent au parti enregistré ou à l'association du parti dans la circonscription du candidat. Les fonds excédentaires des candidats qui ne sont pas soutenus par un parti enregistré doivent être remis au receveur général du Canada.

Ce principe n'a pas besoin d'être appliqué rigoureusement aux campagnes de direction et d'investiture dans la mesure où la question du profit personnel éventuel des aspirants est réglée par les statuts du parti. Cependant, lorsque la participation à une campagne de direction ou d'investiture est soutenue financièrement par les fonds publics, elle cesse d'être uniquement une question d'intérêt privé pour le parti. Les fonds publics ne peuvent servir au bénéfice personnel d'un participant à une telle campagne.

Les fonds publics peuvent parvenir jusqu'aux aspirants lorsque les partis ou les associations locales leur versent des contributions provenant de fonds pour lesquels des reçus d'impôt ont été émis. Une fois qu'un aspirant choisit de recevoir de telles contributions, il devrait être tenu de remettre tout excédent résultant de la course, de la même façon que les excédents sont traités après la campagne d'un candidat. Si un candidat reçoit des fonds pour lesquels un reçu officiel a été émis, tout son financement est assujetti à cette obligation. Sinon, il peut s'avérer difficile de déterminer si les dépenses sont payées à même des fonds publics ou privés.

Recommandation : Lorsqu'un participant à une campagne de direction ou d'investiture reçoit des contributions ayant donné lieu à des reçus d'impôt, il doit remettre tout excédent après la campagne à son parti, dans le cas d'une campagne de direction; ou, dans le cas d'une campagne d'investiture, à son parti ou à son association de circonscription.