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Pratiques de consultation et d'évaluation dans la mise en œuvre du vote par Internet au Canada et en Europe

Introduction

Contexte

Ces dernières années, Internet a littéralement envahi notre mode de vie sur les plans économique, social et politique. Alors que la radio a mis 38 ans pour atteindre 50 millions de personnes, Internet a réussi le même exploit en quatre ans à peine. En 2012, plus de 2,3 milliards de personnes utilisaient Internet. Dans les pays industrialisés, approximativement 70 % des ménages sont « branchés » (UIT, 2012). Cette adoption a des conséquences aux vastes ramifications en ce qui a trait aux activités exécutées en ligne et aux biens et services auxquels les citoyens comptent pouvoir avoir accès grâce au numérique. Puisqu'un nombre croissant de ces services sont désormais offerts en direct, les gouvernements et les organismes électoraux de par le monde étudient la possibilité de mettre en place des systèmes de vote par Internet dans l'espoir de rendre le processus électoral plus accessible, d'accroître le taux de participation électorale et de cheminer vers un modèle de services plus axé sur le citoyen. Au cours de la dernière décennie, un certain nombre de pays ont adopté le vote par Internet dans des élections gouvernementales. Par contre, ces instances et ceux qui étudient le développement du vote Internet se concentrent sur les résultats de ces tentatives, les détails opérationnels des modèles, les incidences sur la participation électorale, ainsi que les aspects de sécurité des systèmes (par exemple, Alvarez et Hall, 2004; Alvarez, Hall et Trechsel, 2009; Bochsler, 2010; Goodman, Pammett et DeBardeleben, 2010; Jones et Simons, 2012; Madise et Martens, 2006; Trechsel et Vassil, 2010). On s'est peu soucié des consultations entreprises avant le déploiement des systèmes de vote par Internet et des protocoles des évaluations effectuées par la suite.

Portée

Les diverses instances ayant fait des essais de vote par Internet n'ont pas mené des consultations de façon systématique et le fait qu'on accorde peu d'attention à ces thèmes dans la documentation publiée en témoigne. Les évaluations postérieures aux essais ont été elles aussi plutôt sporadiques, particulièrement dans les provinces et les territoires canadiens. Le présent rapport porte sur les procédures et processus de consultation et d'évaluation retenus dans certaines instances européennes et canadiennes ayant introduit ou étudié le vote par Internet. Plus précisément, nous examinons la nature des consultations publiques et collectives menées dans divers contextes où le vote par Internet a été établi. Les instances, pour la plupart, ont continué d'utiliser des méthodes de vote par Internet après les essais initiaux. Toutefois, cette situation ne devrait pas être considérée comme un appui des auteurs du présent rapport aux méthodes de consultation ou d'évaluation utilisées, pas plus qu'au vote par Internet lui-même. Les essais de vote par Internet et les études dont nous traitons dans le présent document concernent trois pays européens, à savoir l'Estonie, la Norvège et la Suisse, ainsi que les provinces canadiennes de la Nouvelle-Écosse, de l'Ontario, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique.

Le Plan stratégique 2008-2013 d'Élections Canada est axé sur trois objectifs clés : confiance, accessibilité et engagement. Ces trois objectifs sont étroitement sollicités dans toute évaluation du vote par Internet. La confiance dans l'équité, la sécurité et la transparence de l'administration électorale doit être maintenue, voire améliorée, lorsqu'un vote a lieu par Internet. Ce n'est que lorsque la méthode de vote répond à ces critères qu'elle peut réussir. L'accessibilité est un objectif important dans toute activité de vote à distance, notamment par Internet. Enfin, la mesure dans laquelle le vote par Internet favorise la participation de la population, particulièrement des jeunes, se situe au cœur même des débats sur son utilité. En tenant compte de ces facteurs, nous nous penchons notamment sur les trois dimensions clés que sont la confiance, l'accessibilité et l'engagement en tant que motifs de mener des consultations publiques sur l'introduction des essais de vote par Internet et en tant que bases d'évaluation de ces essais.

Terminologie

L'objet du présent rapport est le vote par Internet, également appelé cybervote, vote en direct ou scrutin en direct, à toutes fins stylistiquesnote 1. Il s'agit d'exprimer son vote de façon sécuritaire à l'aide d'un dispositif branché à Internet, ce qui, habituellement, se déroule dans un contexte non contrôlé (Carter et Bélanger, 2012; E-voting.cc, 2013). Le terme « vote électronique », par contre, sert à désigner le scrutin par Internet et par téléphone combiné (au Canada) et, dans certains cas, les méthodes de scrutin électronique ne s'appuyant pas nécessairement sur une connexion Internet. On utilise également « cybervote » comme forme abrégée de « vote électronique ».

Méthodologie

Quelques pays d'Europe ont eu recours au vote par Internet. Ainsi, entre 2003 et 2007, un certain nombre d'essais dans des circonscriptions au Royaume-Uni ont porté sur cette méthode de vote, souvent combinée à d'autres expériences, par exemple l'utilisation généralisée du vote postal, du vote par téléphone ou par message texte (Boon, Curtice et Martin, 2007). La France, elle aussi, a utilisé le vote par Internet aux élections parlementaires de juin 2012 pour ses citoyens à l'étranger (BIDDH-OSCE, 2012c). Cependant, les exemples européens donnés dans le présent rapport sont tirés avant tout des expériences de trois pays d'Europe, à savoir l'Estonie, la Suisse et la Norvège. Ces pays sont ceux où on a le plus utilisé le vote par Internet jusqu'à maintenant et qui, dans les deux premiers cas, y ont recours depuis plus longtemps. À l'automne de 2012, des entrevues nous ont permis d'obtenir un supplément d'information au sujet de ces trois pays et nous avons ainsi pu poser des questions précises concernant les consultations. Les évaluations se soldent souvent par la publication de rapports dans lesquels les critères retenus peuvent être directement évalués, mais les entrevues ont également abordé ce thème.

Le Canada a aussi eu abondamment recours au vote par Internet dans des élections locales ordinaires. La première fois, c'était il y a une décennie, dans 12 municipalités de l'Ontario. Depuis, le vote par Internet a pris une ampleur considérable, s'étendant à environ 60 municipalités en Ontario et en Nouvelle-Écosse. Dans le présent rapport, nous faisons une étude minutieuse des deux plus grandes municipalités qui ont utilisé le vote par Internet, soit Halifax, en Nouvelle-Écosse, et Markham, en Ontario. Halifax a offert le vote par Internet lors de deux élections ordinaires et d'une élection partielle et Markham a intégré le scrutin en direct dans trois élections consécutives. La municipalité régionale du Cap-Breton, la deuxième plus grande municipalité de la Nouvelle-Écosse, est également visée par la présente étude, compte tenu des efforts de recherche-développement déployés par les responsables municipaux avant sa mise en œuvre. De plus, la ville de Truro, une collectivité plus petite de la Nouvelle-Écosse, est également étudiée en raison de certaines caractéristiques propres à son modèle et à son application. Enfin, nous nous penchons sur la Ville d'Edmonton et la province de la Colombie-Britannique, sur la base de leurs études du vote par Internet et des divers types de processus de consultation qu'elles ont retenus pour évaluer la pertinence du vote en direct pour les élections.

Bien que certains renseignements dans le présent rapport soient tirés de sources secondaires, notamment des documents et rapports imprimés, la recherche repose d'abord et avant tout sur des entrevues personnelles menées à l'automne 2012 par les auteurs lors de déplacements aux divers endroits mentionnésnote 2. Ces entrevues, officiellement non structurées, suivaient tout de même un scénario global conçu pour aborder les aspects pertinents des procédures de consultation et d'évaluation (les questions précises se trouvent à l'Annexe 1). Les questions portant sur les consultations visaient à obtenir de l'information sur la nature de ces dernières, les groupes et les personnes consultés, l'étape du processus au cours de laquelle ont eu lieu les consultations et la publication de rapports. Dans les questions relatives à l'évaluation, nous avons examiné les critères et les indicateurs utilisés, le niveau de formalité du processus et la rédaction de rapports. Nous avons fourni des renseignements au sujet de notre recherche à toutes les personnes interrogées, avant qu'elles ne répondent aux questions. Les interviewés ont été sélectionnés d'après leur rôle dans une organisation, agence ou instance particulière ainsi que leur connaissance et leur expérience des pratiques de consultation et d'évaluation liées au vote par Internet.


Note 1 Cette distinction terminologique se retrouve dans la documentation concernant le vote par Internet (voir, par exemple, Bélanger et Carter, 2010; Carter et Bélanger, 2012; Carter et Campbell, 2012; Goodman, Pammett et DeBardeleben, 2010; Stenerud et Bull, 2012).

Note 2 Le lecteur trouvera une liste de ces entrevues à la suite de la bibliographie.