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Rapport sur l'Enquête nationale auprès des jeunes : Analyse de la participation politique et civique de sous-groupes de jeunes Canadiens

3. Qu'est-ce qui nuit à la participation politique des jeunes?

Dans la présente section, nous approfondissons notre analyse de l'engagement des jeunes en nous penchant sur les facteurs déterminants de la participation. Notre objectif est de déterminer les raisons pour lesquelles les jeunes participent moins à certaines activités politiques comparativement aux citoyens plus âgés. Nous étudions tout d'abord les causes de l'écart de 20 points de pourcentage entre le taux de participation électorale autodéclarée par les jeunes adultes et les adultes plus âgés. Ensuite, nous proposons une analyse plus détaillée de la participation des jeunes aux activités politiques non électorales. Plus précisément, nous cherchons à déterminer pourquoi, comparativement aux citoyens plus âgés, les jeunes sont moins susceptibles de communiquer avec des politiciens. Nous constatons que l'écart entre la participation au scrutin des jeunes citoyens et des citoyens plus âgés est principalement causé par les différences dans les attitudes politiques et que les inégalités dans les ressources socioéconomiques et l'exposition à la mobilisation ont un rôle moins important. Par ailleurs, le tableau 1 (ci-dessus) montre qu'il n'y avait pas d'écart important entre les sexes en ce qui a trait aux taux de participation politique, mais des analyses supplémentaires ont révélé une différence dans la relation qui existe entre le fait d'avoir des enfants et la participation au scrutin.

À la lumière de la formule maintenant bien connue de Verba et ses collègues (1995, p. 15), les citoyens ont tendance à ne pas participer à la vie politique soit « parce qu'ils ne le peuvent pas, parce qu'ils ne le veulent pas ou parce que personne ne le leur a demandé ». Par conséquent, nous pouvons déterminer trois facteurs clés qui influent sur la participation politique : le degré de ressources socioéconomiques des répondants, les différences dans les attitudes politiques et l'exposition aux efforts de mobilisation. Dans le texte qui suit, nous appliquons une série d'analyses de régression logistique pour déterminer la mesure dans laquelle ces facteurs expliquent les écarts entre les taux de participation des jeunes et des citoyens plus âgés avant d'aborder, à la section 4, les différences entre les sous-groupes de jeunes.

3.1 Taux de participation des jeunes

Les résultats d'une analyse de régression logistique de la participation électorale autodéclarée par les répondants par rapport aux ressources socioéconomiques et attitudes politiques de ces derniers et à leur exposition à la mobilisation sont présentés au tableau 2. Nous présentons nos conclusions en tant qu'effets marginaux moyens (EMM), soit le changement de la probabilité selon laquelle un répondant signale avoir voté s'il possède une certaine caractéristique (p. ex. être parent). Dans les cas où les variables sont évaluées selon une échelle continue (p. ex. connaissance et cynisme politique), les EMM reflètent le changement de la probabilité de voter lorsque la valeur du répondant sur l'échelle augmente d'une unité.

Nos résultats laissent entendre que les écarts individuels entre les ressources socioéconomiques, comme le niveau de scolarité et le revenu, n'expliquent pas les écarts de la participation politique autodéclarée entre les jeunes adultes et les adultes plus âgés. En fait, après la prise en compte de ces différences, l'écart se creuse légèrement comparativement au modèle de base comprenant seulement la variable nominale déterminant si le répondant est considéré comme un jeunenote 9. Ce sont plutôt les attitudes politiques, surtout le cynisme politiquenote 10, l'opinion selon laquelle voter est un devoir civique, la connaissance de la politique en général et l'intérêt connexe et l'intérêt à l'égard de l'élection plus précisément qui sont les facteurs principaux expliquant l'écart de la participation électorale autodéclarée par les jeunes répondants et les répondants plus âgés. Après la prise en compte des différences entre les attitudes politiques, l'écart au chapitre de la participation électorale autodéclarée est réduit de près de moitié, passant de 19 points de pourcentage à 11. Enfin, la participation est également favorisée par l'exposition aux efforts de mobilisation. Les jeunes répondants et ceux plus âgés étaient plus susceptibles de signaler avoir voté s'ils avaient reçu une carte d'information de l'électeur, avaient été joints par des partis politiques et avaient été incités à voter par leur famille. Fait surprenant, ce ne sont pas tous les types de mobilisation qui ont un effet positif sur la participation électoralenote 11, et, globalement, ces efforts de mobilisation ont un effet minime, réduisant l'écart entre les jeunes et les citoyens âgés par un seul point de pourcentage.

Après examen de l'écart de l'effet marginal représenté par le fait d'être un jeune Canadien dans les modèles 1 à 4, il devient apparent qu'un peu moins de la moitié de l'écart entre le taux de participation des jeunes et des citoyens adultes s'explique par les différences quant aux attitudes et à la mobilisation. Pour examiner de façon plus approfondie la répartition de ces facteurs entre les électeurs âgés et jeunes, nous recourons à la même stratégie de « corrélation contrôlée » utilisée par Gélineau (2013, p. 14) dans son analyse de l'ENJ de 2011. Plus précisément, nous effectuons une analyse de régression de notre variable dichotomique liée au fait d'être jeune pour tous les facteurs considérés comme ayant eu un effet important sur le plan statistique sur la participation au scrutin dans le modèle 4. Cela fournit une estimation de la mesure dans laquelle les jeunes citoyens sont plus ou moins susceptibles de posséder une caractéristique donnée. Les résultats affichés dans le tableau 3 montrent que les jeunes citoyens connaissent beaucoup moins la politique et y sont beaucoup moins intéressés. Les jeunes ont également tendance à être moins en accord avec l'idée selon laquelle voter est un devoir civique. Fait intéressant, après la prise en compte d'autres influences, les jeunes ne sont pas beaucoup plus cyniques que leurs aînésnote 12. Par contre, les jeunes sont moins susceptibles de se rappeler avoir reçu une carte d'information de l'électeur d'Élections Canada ou d'être incités à voter par les politiciens et les partis politiques (mais ils signalent davantage avoir été incités à voter par les membres de leur famille)note 13.

Tableau 2. Variables explicatives de la participation électorale autodéclarée par tous les citoyens
(1)
Base de référence

EMM
(2)
Ressources

EMM
(3)
Attitudes

EMM
(4)
Mobilisation

EMM
Jeunes (moins de 35 ans) -0,17*** -0,19*** -0,11*** -0,10***
Études postsecondaires 0,14*** 0,05** 0,03+
Revenu supérieur à 40 000 $ 0,01 -0,01 -0,02
Déménagement récent -0,04+ -0,04** -0,01
Enfants -0,08*** -0,03 -0,02
Intéressé par l'élection 0,20*** 0,20***
Intéressé par la politique 0,09*** 0,07**
Cynisme politique (échelle de 0 à 1) -0,19*** -0,19***
Voter est un devoir civique 0,23*** 0,20***
Connaissances politiques (échelle de 0 à 1) 0,19*** 0,16***
Réception de la carte de l'électeur 0,20***
Mobilisation politique 0,03*
Mobilisation par la famille 0,06***
Mobilisation par des amis ou des enseignants 0,01
Joint par les médias -0,05**
Joint par une organisation -0,02
Observations 2 441 2 441 2 441 2 441
Pseudo R2 0,03 0,05 0,31 0,36

Remarque : + p < 0,10, * p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001. Les variables explicatives sont dichotomiques et codées en tant que 0 (non) ou 1 (oui), sauf pour le cynisme politique et les connaissances politiques, qui sont présentés sur des échelles continues allant de 0 à 1. L'effet de la jeunesse dans le modèle de référence est de 3 points de pourcentage inférieur à ce qui est présenté à la figure 1, car nous excluons les personnes présentant des valeurs manquantes quant aux variables indépendantes utilisées dans les modèles 2 à 4.

Tableau 3. Régression de la variable nominale des jeunes appliquée aux variables explicatives de la participation électorale
(5)
VN = Jeunes

EMM
Études postsecondaires 0,02
Déménagement récent 0,17***
Intéressé par l'élection 0,04
Intéressé par la politique -0,08**
Cynisme politique (échelle de 0 à 1) 0,04
Voter est un devoir civique -0,05**
Connaissances politiques (échelle de 0 à 1) -0,13***
Réception de la carte de l'électeur -0,09***
Mobilisation politique -0,07***
Mobilisation par la famille 0,10***
Joint par les médias 0,03
Observations 2 441
Pseudo R2 0,09

Remarque : + p < 0,10, * p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001. À moins d'avis contraire, les variables explicatives sont dichotomiques et codées en tant que 0 ou 1.

Il importe de mentionner que les trois types de facteurs examinés ci-dessus n'expliquent pas entièrement l'écart entre les électeurs jeunes et plus âgés. Pour prendre en compte l'écart restant de 10 points de pourcentage, nous avons également contrôlé les liens entre les jeunes et l'ensemble des variables explicatives pour déterminer si l'effet des facteurs contrôlés est différent pour les jeunes électeurs et les électeurs adultes (p. ex. l'effet du niveau de scolarité pourrait être d'une ampleur différente pour les jeunes électeurs et les électeurs adultes). Aucun des liens ne s'est toutefois révélé important sur le plan statistique (l'analyse n'est pas fournie dans le présent rapport). L'écart de la participation électorale autodéclarée par les jeunes répondants et les répondants âgés est donc probablement causé par un ensemble plus vaste de facteurs difficiles à mesurer et qui peuvent être considérés comme l'expérience. Cette dernière peut correspondre au fait de vieillir (effets de l'âge) ou à des processus de socialisation différents (effets générationnels)note 14.

Le tableau 1 présenté à la section 2 ne révèle aucun écart entre les sexes quant à la participation électorale autodéclarée. Cependant, nous avons effectué une analyse supplémentaire pour déterminer l'écart potentiel entre la participation des jeunes hommes et celle des jeunes femmes. Plus précisément, nous voulions déterminer l'effet de la parentalité sur la participation au scrutin, car des recherches antérieures ont laissé entendre que la participation politique des femmes peut être gênée par la maternité (McGlen, 1980; Quaranta, 2015). Pour ce faire, nous avons reproduit l'ensemble de notre modèle présenté au tableau 2 en incluant un lien entre les enfants et les répondantes (analyses présentées au tableau 5 de l'appendice). Au tableau 4, nous estimons les effets du lien entre le sexe et le fait d'être parent sur la participation électorale autodéclarée par les répondants. Nous relevons des données probantes laissant entendre que la parentalité a un effet différent sur la participation électorale des jeunes mères et celle des jeunes pères. Pour ces derniers, le fait d'avoir des enfants n'a aucun effet sur la probabilité de déclarer avoir voté. Cependant, pour les jeunes mères, le fait d'avoir des enfants a un effet négatif et important sur le plan statistique. En d'autres mots, la maternité fait en sorte que les jeunes femmes sont moins susceptibles de voter, dans une proportion de 8 %. Cette constatation laisse entendre qu'Élections Canada pourrait élaborer des interventions destinées aux jeunes mères pour qu'il soit plus facile pour elles de voter.

Tableau 4. Effets de l'interaction entre le sexe et la parentalité
Écart de l'effet marginal Intervalle de confiance de 95 %
Limite inférieure
Intervalle de confiance de 95 %
Limite supérieure
Jeune père ,04 -,02 ,10
Jeune mère -,08 -,13 -,03

Remarque : Les catégories de référence pour les jeunes pères et les jeunes mères sont les jeunes hommes et les jeunes femmes sans enfants, respectivement.

3.2 Autres formes de participation politique des jeunes

Figure 2. Différents types de participation politique par groupe d'âge
Figure 2. Différents types de participation politique par groupe d'âge Description longue de Figure 2. Différents types de participation politique par groupe d'âge

À la section 2.1, nous avons vu que la participation politique non électorale des jeunes est équivalente à celle de leurs aînés. Cependant, on peut se demander si cette équivalence s'applique à tous les types de comportements politiques non électoraux. Cette question est examinée à la figure 2, où on compare les jeunes et les citoyens âgés pour chaque élément de la mesure globale de la participation politique non électorale. Elle révèle que les jeunes participent moins pour seulement deux activités : communiquer avec des politiciens et, dans une moindre mesure, afficher une enseigne pour un parti ou un candidat pendant la campagne électorale. Cette participation moindre est compensée, du moins en partie, par la plus grande propension des jeunes à signer des pétitions et à prendre part à des manifestations publiques. Toutefois, communiquer avec des politiciens est une façon plus personnelle et directe de se faire entendre, et une équivalence entre les générations pour ce type de participation citoyenne est désirable. Par conséquent, l'analyse qui suit se penche sur les raisons pour lesquelles les jeunes participent moins à ce type d'activité.

Tableau 5. Variables explicatives de la communication avec des politiciens pour tous les citoyens
(6)
Base de référence

EMM
(8)
Ressources

EMM
(9)
Attitudes

EMM
(10)
Mobilisation

EMM
Jeunes (<35) -0,10*** -0,09*** -0,06* -0,05*
Études postsecondaires 0,06** 0,04* 0,03+
Revenu supérieur à 40 000 $ 0,02 0,00 0,01
Déménagement récent -0,00 -0,01 -0,00
Enfants -0,01 0,00 0,01
Intéressé par l'élection 0,05 0,04
Intéressé par la politique 0,10*** 0,09***
Cynisme polit. (échelle de 0 à 1) 0,07 0,09*
Voter est un devoir civique -0,00 -0,01
Connaissances politiques (échelle de 0 à 1) 0,16*** 0,12***
Réception de la carte de l'électeur 0,06*
Mobilisation politique 0,07***
Mobilisation par la famille 0,00
Mobilisation par des amis ou des enseignants 0,01
Joint par les médias 0,00
Joint par une organisation 0,09***
Observations 2 414 2 414 2 414 2 414
Pseudo R2 0,01 0,02 0,07 0,12

Remarque : + p < 0,10, * p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001. À moins d'avis contraire, les variables explicatives sont dichotomiques et codées en tant que 0 ou 1.

Les résultats présentés dans le tableau 5 montrent une explication très semblable de l'inégalité entre les jeunes et les adultes en ce qui concerne la participation au scrutin. Le changement de l'effet marginal des variables du groupe des jeunes dans les modèles 6 à 10 laisse entendre que la plus faible propension des jeunes à communiquer avec des politiciens peut s'expliquer à 50 % par les trois types classiques de facteurs liés à la participation. Après la prise en compte de tous les facteurs (modèle 10), l'écart passe de 10 % (dans le modèle 6 de base) à 5 %. Tout comme la participation électorale, la plus grande différence, une diminution de 3 points de pourcentage entre les jeunes Canadiens et les Canadiens plus âgés, découle des attitudes politiques, surtout l'intérêt et les connaissances politiques des répondantsnote 15. Les ressources et la mobilisation jouent un plus petit rôle, comptant chacun pour seulement 1 point de pourcentage de l'écart. La part restante de l'écart entre les jeunes et les adultes peut être causée, comme pour la participation au scrutin, par les effets de l'âge et générationnels.




note 9 L'écart entre les électeurs jeunes et les électeurs âgés est légèrement inférieur (de 3 points de pourcentage) à ce qui est présenté à la figure 1 (c.-à-d. 17 points de pourcentage plutôt que 20). Cela s'explique par l'omission des personnes présentant des valeurs manquantes pour certaines des variables indépendantes de l'analyse actuelle.

note 10 Le cynisme politique reprend la mesure utilisée par Rubenson et coll. (2004, p. 39). Il s'agit d'une échelle Likert continue latente ayant une valeur de 0 à 1. Elle comporte les éléments suivants : attitudes à l'égard des partis politiques (variables QF4 et QF2B dans l'ENJ de 2015), des politiciens (QF3) et du gouvernement (Q2FC). Les tests officiels ont révélé que l'échelle est unidimensionnelle et fiable (coefficient alpha de Cronbach = 0,77). Les citoyens ayant une cote élevée sur cette échelle ont tendance à éprouver de l'antipathie envers les partis politiques et les politiciens et sont fortement en accord avec les énoncés selon lesquels tous les partis politiques fédéraux sont du pareil au même et le gouvernement ne se soucie pas des gens.

note 11 Les répondants déclarant avoir été incités à voter par les médias montrent une propension inférieure à voter, de 6 %. Ce résultat n'est toutefois pas très révélateur et doit être utilisé avec réserve, car, dans une analyse bidimensionnelle simple (sans l'inclusion d'autres variables explicatives), l'effet de la mobilisation par les médias est positif (+8,2) et revêt une importance sur le plan statistique (p < 0,001).

note 12 Cependant, dans un contexte bidimensionnel, les jeunes sont plus cyniques. La valeur moyenne des jeunes citoyens sur l'échelle de cynisme de 0 à 1 est de 0,45, tandis que celle des gens plus âgés est de 0,41 (valeur p de l'écart < 0,001).

note 13 Selon notre modèle, la mobilisation par les médias, qui est légèrement plus forte chez les jeunes, a un effet négatif. Néanmoins, comme nous l'avons mentionné précédemment, il faut interpréter ce résultat avec prudence (voir la note de bas de page 11).

note 14 L'enquête actuelle ne nous permet pas d'examiner en détail l'incidence de ces facteurs. Cependant, quand nous ajoutons attentivement des contrôles pour les effets de l'âge dans le modèle 4 (voir le tableau 6 de l'appendice), l'EMM de la variable nominale des jeunes diminue à 5 points de pourcentage. Cela laisse entendre que les effets de l'âge peuvent compter pour 50 % de l'écart inexpliqué entre les jeunes et les adultes dans le modèle 4 du tableau 2 et que jusqu'à 50 % de ces effets peuvent être expliqués par les effets générationnels. Cette estimation est relativement conforme aux conclusions d'études menées antérieurement au Canada (p. ex. Blais et coll., 2004). Évidemment, cette question devrait être examinée davantage grâce à une analyse beaucoup plus poussée utilisant des données représentatives tirées d'un nombre élevé d'élections fédérales. Il importe également de mentionner que certaines des différences que nous avons observées entre les jeunes et les citoyens âgés quant aux attitudes (notamment l'intérêt politique et le devoir civique) sont également susceptibles d'être de nature générationnelle.

note 15 Il importe de mentionner que l'effet positif qu'exerce le cynisme politique sur le fait de communiquer avec des politiciens au modèle 10 peut refléter une relation potentiellement fausse; dans un contexte bidimensionnel, le coefficient devient négatif et non important sur le plan statistique.