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Incidences potentielles de la prolongation du vote par anticipation sur la participation électorale

Examen de la littérature

Il s'agit de savoir si la participation électorale peut augmenter lorsqu'on offre plus de possibilités de vote par anticipation et si les Canadiens disposent de deux jours de scrutin similaires au lieu d'un seul, surtout si le premier jour est un dimanche.

Voici la première réponse que nous pouvons donner avec une certaine certitude : il est très improbable que la participation électorale en soit réduite. Le raisonnement est simple : plus il est facile de voter, plus il y a de probabilités que les personnes votent. Les questions les plus difficiles concernent l'ampleur probable de l'incidence (cela va-t-il augmenter nettement ou légèrement la participation électorale?) et les effets comparatifs des différentes méthodes par lesquelles la participation électorale peut être facilitée.

Avant d'examiner les publications transnationales, il convient de voir comment les personnes réagissent au facteur coût (ou à la difficulté) du vote. À l'aide de données d'enquêtes individuelles, Blais (2000) mesure les coûts par le biais de trois questions : combien de temps les répondants pensent qu'il leur faudra pour voter; est-il facile ou difficile d'après eux d'aller voter; est-il facile ou difficile d'obtenir l'information et de décider comment voter. Blais constate que le coût perçu du vote est très faible. Il montre aussi que les coûts ont un effet statistique important sur la participation électorale; plus il est facile de voter, moins les gens ont tendance à s'abstenir. Mais l'incidence reste faible. Il conclut que « les augmentations marginales (des coûts) réduisent la propension à voter seulement de façon marginale » (Blais, 2000, p. 91). Ses résultats indiquent que les mesures conçues pour faciliter le vote aideraient, mais pas beaucoup.

Examinons maintenant la preuve transnationale type. Une série d'études porte directement sur les mesures administratives qui facilitent le vote; l'objectif consiste à déterminer si, toutes choses étant égales, la participation électorale tend à être plus forte dans les pays où ces mesures ont été adoptées.

Franklin a examiné de près l'incidence des mesures pour faciliter le vote. Dans un premier document (Franklin, 1996), il signale les effets positifs de ces optionsnote 5, de même que du vote le dimanche; l'incidence estimative – quatre et six points de pourcentage respectivement – est substantielle. Franklin conclut aussi à un effet négatif contre-intuitif du nombre de jours de scrutinnote 6. Dans une deuxième étude publiée six années plus tard, Franklin (2002) conclut de nouveau que ces deux facteurs ont une portée appréciable sur la participation électorale (hausse de six points de pourcentage). Le nombre de jours de scrutin n'est pas inclus dans cette deuxième étude.

La troisième et dernière étude de Franklin est son ouvrage de 2004, où l'on insiste sur l'explication des variations dans la participation électorale par rapport à l'élection antérieure. Franklin ne conclut pas à un effet important cette fois-ci, que ce soit pour les modalités de votenote 7 ou pour le vote la fin de semaine.

En bref, les résultats initiaux de Franklin ont montré des effets relativement marqués pour les modalités de vote ainsi que pour le vote le dimanche, mais d'après ses derniers travaux, l'incidence ne serait pas majeure.

Norris (2002) examine aussi l'incidence des modalités de vote sur la participation électorale. Son analyse couvre une vaste gamme de pays, notamment les pays non démocratiques. Elle conclut à un effet positif pour le vote un jour de repos, à un effet négatif pour le vote par procuration et le nombre de jours d'ouverture des bureaux de scrutin, et à un effet neutre pour les autres modalités de vote spéciales.

Blais et autres (2003) ont étudié pour le compte d'Élections Canada 151 élections dans 61 pays démocratiques. Les auteurs examinent l'incidence du vote les jours fériés et de la « commodité du vote ». Dans le dernier cas, on peut voir s'il est possible de voter par la poste, par anticipation ou par procuration, et cela correspond à la proportion des choix qui sont disponibles dans un pays donné (la variable étant égale à 0,66 au Canada, où l'on peut voter par la poste et par anticipation, mais où il n'y a pas de vote par procuration). L'étude ne signale pas d'effet important pour le vote un jour férié, mais met en évidence une incidence relativement forte pour la commodité du vote. Toutes choses étant égales, la participation serait supérieure de 11 points dans un pays doté de toutes les trois options (la Suède est le seul cas), par opposition aux pays où il n'y en a aucune (la plupart de ces pays se situent en Amérique latine).

Enfin, Rose (2004) examine la participation électorale dans les 15 pays de l'Union européenne de l'époque, tant aux élections nationales (1945-2002) qu'à celles du Parlement européen (1979-1999). Il examine l'effet de la tenue d'élections un jour de repos et conclut à une incidence positive forte (4 points de pourcentage pour les élections nationales et 11 points pour les élections au Parlement européen).

Les conclusions des études fondées sur des comparaisons transnationales ne sont pas très cohérentes. Dans le cas des modalités de vote, selon les études initiales de Franklin et le rapport de Blais et autres, elles augmentent la participation électorale, alors que Franklin (dans sa recherche la plus récente) et Norris concluent qu'elles n'en ont pas. Dans le cas du vote le dimanche ou du vote un jour férié, Franklin (premiers travaux), Norris et Rose indiquent qu'ils contribuent à une participation plus élevée, tandis que l'ouvrage le plus récent de Franklin et le rapport de Blais et autres concluent à l'absence d'incidence. Quant aux deux jours réguliers de scrutin, certaines études indiquent qu'ils ont un effet négatif, ce qui ne semble pas très crédible. Des conclusions aussi ambiguës rendent difficile la formulation de conclusions définitives. On peut voir pour le moins qu'il y a peu de probabilités que ces mesures administratives aient une forte incidence. Parallèlement, tout indique que la commodité a une incidence positive dans une certaine mesure. Il semble donc plausible que les mesures permettant aux électeurs de voter à des heures plus pratiques devraient légèrement augmenter la participation électorale.

Une autre série d'études a porté sur les conséquences des modalités de vote par anticipation ou de vote postal qui ont été mises en place dans certains États américains. Trois études (Karp et Banducci, 2000; Berinski, Burns et Traugott, 2001; Gronke et Miller, 2007) établissent l'incidence du vote postal aux États-Unis, surtout dans l'État de l'Oregon, où toutes les élections se font maintenant par vote postal seulement. Gronke et Miller étudient aussi l'État de Washington, où le vote postal est autorisé dans certaines circonscriptions, mais pas dans l'ensemble de celles-ci. La conclusion qui fait consensus est que l'introduction du vote postal a augmenté la participation électorale en facilitant le vote pour les personnes qui ne s'exprimaient pas habituellement aux élections. Toutefois, il a fait très peu pour inciter les abstentionnistes récurrents à aller s'exprimer. L'effet est donc positif mais modeste. Gronke et Miller signalent des résultats semblables pour l'État de Washington, où les circonscriptions qui tiennent les élections par la poste connaissent une participation électorale moyenne de 4,5 points de pourcentage, participation supérieure à celles qui ne le font pas.

Oliver (1996) examine les effets des possibilités de vote par anticipation sur la participation électorale. Il observe que le vote par anticipation est plus fréquent dans les États dotés de lois électorales progressistes, mais seulement si les partis mobilisent de façon active les citoyens pour qu'ils profitent de ces possibilités de vote accrues. Une étude récente faite par Gronke et autres (s. d.) porte sur les conséquences du vote par anticipation dans 50 États sur une période de 24 ans. L'étude signale un effet positif de quelque 5 points de pourcentage pour le vote postal, mais aucun effet important pour le vote exprimé en personne de façon anticipée. Là encore, il en ressort que ces mesures augmentent le taux de participation électorale seulement parmi quelques sous-groupes précis et dans certaines circonstances, de sorte que l'impact global est limité.

Des universitaires ont aussi analysé l'incidence des changements apportés dans l'administration électorale américaine depuis l'adoption de la Help American Vote Act en 2002. Mycoff et autres (2007) prétendent qu'il n'existe pas de rapport entre le caractère strict des exigences d'identification et le taux de participation électorale, que ce soit au niveau global ou individuel.

Il existe aussi un certain nombre d'études intéressantes sur la relation entre la commodité et le vote. Par exemple, des universitaires ont étudié les répercussions du climat sur la participation électorale. L'étude la plus systématique a été publiée par Gomez et autres (2007). Ceux-ci examinent le taux de participation électorale dans plus de 3 000 circonscriptions pour chaque élection présidentielle américaine, de 1948 à 2000, et ils mettent ces taux en parallèle avec les prévisions de pluie et de neige le jour du scrutin. Les auteurs démontrent que la possibilité de pluie ou de neige a des effets marqués sur le plan statistique. L'impact est toutefois assez faible. Ils constatent que pour chaque pouce de pluie additionnel, la participation électorale diminue de près d'un point de pourcentage; l'effet de chaque pouce supplémentaire de neige est presque de 0,5 point de pourcentage. Un résultat semblable est signalé par Ben Lakhdar et Dubois (2006), qui ont examiné l'effet du climat dans 43 départements pour cinq élections législatives françaises.

Par ailleurs, on s'est penché sur la distance à parcourir pour se rendre aux bureaux de scrutin et l'effet produit sur le taux de participation. Gimpel et Schuknecht (2003) ont examiné la participation dans 363 bureaux de scrutin de trois comtés de banlieue du Maryland à l'élection présidentielle de 2000. Ils font un lien entre le taux de participation et la distance entre les bureaux de scrutin et les districts plus centraux. Ils concluent à un impact significatif sur le plan statistique, en contrôlant une foule d'autres facteurs : « pour chaque cinq milles de moins à parcourir, la participation augmente en moyenne de 1,74 % (sic) ».

Tout aussi intéressante est l'étude, effectuée par Dyck et Gimpel (2005), qui est fondée sur des données au niveau individuel. Les auteurs examinent la distance entre les résidences des électeurs, le lieu de scrutin central et les bureaux de vote par anticipation les plus proches dans Clark County, au Nevada, pour l'élection de mi-mandat de 2002. Ils estiment l'effet de la distance sur la propension à s'abstenir ou à voter au lieu de scrutin central, par anticipation ou par la poste, et ils concluent que la distance compte. Toutefois, les effets précis s'avèrent un peu surprenants : plus le lieu de scrutin est éloigné, plus on a tendance à voter par la poste, et plus le bureau de vote par anticipation est loin, plus on a tendance à voter au lieu de scrutin. La distance a un effet surtout sur l'option de vote choisie (au lieu de scrutin central, par anticipation ou par la poste). Elle a une incidence sur la participation globale, mais elle est modeste; le fait d'habiter à un écart-type au-delà de la distance médiane du lieu de scrutin central (environ 1,75 mille) a pour conséquence d'accroître le taux d'abstention de 1,3 point de pourcentage.

Enfin, une récente étude de Baker (2007) a porté sur l'effet du regroupement des bureaux de scrutin en Ohio et au Kansas. Bien que Baker se soit attendue à ce que le regroupement des bureaux réduise la participation électorale, elle conclut à l'absence d'incidence.

La recherche sur les répercussions du climat et de la distance permet donc d'en arriver à des résultats concordants. Le beau temps et une courte distance à parcourir jusqu'aux bureaux de scrutin favorisent la participation électorale, mais l'effet semble faible. Toutes ces conclusions prises ensemble indiquent que les mesures qui facilitent le vote sont susceptibles d'augmenter la participation électorale, mais seulement modestement.


Note 5 Franklin fait référence au « vote postal », mais les données qu'il utilise (Katz, 1997, tableau 13.2) concernent le vote postal, le vote par anticipation et d'autres dispositions « spéciales ». L'expression « mesures pour faciliter le vote » traduirait mieux ce qui est mesuré.

Note 6 Nous soupçonnons que cette conclusion contre-intuitive est attribuable au fait que l'Inde, qui a une très faible participation électorale, est considérée comme ayant cinq jours de scrutin. En fait, il y a différents jours de scrutin pour différentes régions du pays, mais l'électeur ne peut voter qu'un seul jour donné. L'Inde devrait donc être considérée comme ayant un seul jour de scrutin.

Note 7 Franklin fait maintenant référence au « vote des absents », mais les données couvrent aussi le vote postal et le vote par anticipation et d'autres dispositions supplémentaires.