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Introduction – L'histoire du vote au Canada

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Le simple geste de voter, privilège autrefois réservé aux hommes suffisamment bien nantis pour posséder des terres ou payer des impôts, est aujourd'hui un droit reconnu à tous les citoyens canadiens adultes, à l'exception notable du directeur général des élections du Canada.

L'électorat (l'ensemble des personnes qui ont le droit de voter à une élection) est défini par la Constitution et la loi. Pour les élections fédérales, cette loi est la Loi électorale du Canada. Ses dispositions déterminent et régissent le droit de vote.

Le Parlement du Canada se compose de la Couronne (représentée par le gouverneur général) et de deux chambres :

  • le Sénat, dont les 105 membres sont nommés par le gouverneur général, sur la recommandation du premier ministre, et représentent les provinces et territoires;
  • la Chambre des communes, dont les membres sont élus à intervalles réguliers par la population.

Aujourd'hui, exercer le droit de vote au niveau fédéral, c'est voter en vue d'élire un représentant à la Chambre des communes. Le pays est divisé en circonscriptions électorales, connues aussi sous le nom de « comtés »; chacune a droit à un siège aux Communes. (Jusqu'en 1966, certaines circonscriptions étaient représentées par deux députés.) Le nombre de sièges est révisé tous les 10 ans, après le recensement décennal, pour refléter les changements et les mouvements de la population. Tout au long ce processus, le nombre de sièges a progressivement augmenté, passant de 181 au moment de la Confédération à 338 après le redécoupage électoral de 2013.

Le système électoral canadien est un système majoritaire uninominal (aussi appelé système uninominal à un tour) : dans chaque circonscription, le candidat qui obtient le plus de votes – même si ce n'est pas la majorité des votes exprimés – est déclaré élu. Généralement, une fois reçus les résultats de toutes les circonscriptions, le gouverneur général invite le chef du parti ayant obtenu plus de la moitié des sièges à la Chambre des communes à former un gouvernement, et ce chef de parti devient ou demeure le premier ministre. Si aucun parti n'obtient la majorité des sièges, le chef du parti qui est le plus susceptible d'obtenir la confiance et l'appui de la Chambre devient ou demeure le premier ministre. Toutefois, la Chambre des communes peut ensuite déterminer si un gouvernement minoritaire est maintenu au pouvoir ou défait, quand elle vote sur une question de confiance.

Avant d'aborder l'histoire du droit de vote au Canada, il importe de souligner que d'autres formes de démocratie existaient au pays bien avant la colonisation européenne. Depuis des temps immémoriaux, les peuples autochtones, formant des groupes culturels distincts, possédaient des systèmes complexes de gouvernement. Le présent ouvrage traite cependant de la démocratie représentative depuis la colonisation.

Lors des premières élections tenues en Nouvelle-France, les résidents de Québec, de Montréal et de Trois-Rivières choisissent des représentants, appelés « syndics », pour siéger au conseil colonial. Les syndics ne sont pas des représentants au même titre que les législateurs d'aujourd'hui. À l'origine, ils sont des intermédiaires qui se bornent à faire connaître les opinions des électeurs au conseil et à transmettre les décisions du conseil aux citoyens. Après 1648, lors d'une assemblée publique, deux syndics sont désignés par le conseil colonial comme membres en titre de ce dernier. En 1657, il est décrété que quatre membres du conseil doivent être élus par la population en général « à la pluralité des voix exprimées lors d'un vote libre » – formule qui équivaut essentiellement au système à un tour que l'on connaît aujourd'hui. Tout au long de cette période, cependant, le conseil colonial rend compte au roi ou au gouverneur de la Nouvelle-France, et non au peuple. La charge de syndic tombe en désuétude en 1674.

Les assemblées parlementaires n'existaient pas en France ou dans ses colonies en raison de la monarchie absolue. En revanche, la Grande-Bretagne possède un Parlement, et il est admis que les sujets britanniques dans les colonies ont également le droit d'établir des institutions représentatives locales. Dès le 17e siècle, les colonies britanniques en Amérique et dans les Antilles se dotent d'assemblées législatives distinctes; il est donc normal que les colonies situées sur le territoire du futur Canada disposent du même privilège.

L'élection de la première assemblée dotée de responsabilités législatives se tient en 1758 en Nouvelle-Écosse. Les autres colonies emboîtent le pas dans les décennies qui suivent. Leurs assemblées exercent cependant une influence limitée, car les conseils exécutifs, les vrais organismes décisionnaires, rendent des comptes au gouverneur plutôt qu'à des conseils élus, et les membres des chambres hautes, qui sont nommés plutôt qu'élus, peuvent bloquer les projets de loi adoptés par les assemblées.

Avis public, daté du 16 mars 1810, d'une élection qui se tiendra dans le comté de Québec aux fins d'élire deux membres de l'assemblée provinciale.

Proclamation électorale, 1810

Toute personne, homme ou femme, qui remplit les conditions de propriété et de revenu peut voter à cette élection tenue dans le Bas-Canada. Si les colonies qui viendraient à former le Canada avaient des règles d'admissibilité variables, il demeure que le droit de vote était surtout le privilège des hommes riches. Bibliothèque et Archives Canada, MG55/24-No9, volume 2, R11484-0-2-E

De surcroît, le droit de vote est beaucoup plus limité à l'époque qu'il ne l'est aujourd'hui. Ainsi, la capacité de la plupart des habitants d'exercer une influence sur les affaires de la colonie est limitée. La situation ne changera pas avant l'établissement du « gouvernement responsable » dans les diverses colonies entre 1848 et 1855. Même alors, il faut attendre bien des années avant que le droit de vote ne soit accordé à une proportion beaucoup plus grande de la population.

Dans leur conquête du suffrage universel masculin (et plus tard féminin), les Canadiens doivent beaucoup aux idées répandues par les penseurs et écrivains français et britanniques des 18e et 19e siècles, ainsi qu'à l'expérience démocratique de la France, de l'Angleterre et des États-Unis. Tout en reconnaissant cette dette, nous avons choisi d'examiner plus spécifiquement le chemin que le Canada a suivi pour donner corps à ces idées sur le plan législatif et institutionnel.

Le présent ouvrage se divise en quatre chapitres.

  • Le premier chapitre s'intéresse au vote depuis les débuts du gouvernement responsable, dans les colonies britanniques qui deviendront plus tard le Canada, jusqu'à la Confédération.
  • Le deuxième chapitre traite des années 1867 à 1919, période de grande turbulence en matière électorale, marquée entre autres par un va-et-vient fédéral-provincial pour ce qui est du contrôle du droit de vote fédéral.
  • Le troisième chapitre examine l'évolution du droit de vote de 1920, début de l'ère moderne en ce qui concerne la législation électorale, à 1981.
  • Le quatrième et dernier chapitre porte sur les réformes électorales intervenues après l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, en 1982.

Dans chacun de ces chapitres, nous examinons aussi d'autres réformes législatives importantes liées au droit de vote et à l'intégrité des élections, particulièrement la réglementation du financement politique et des partis politiques, des candidats et des tiers (particuliers ou groupes autres que les candidats ou les partis politiques enregistrés). Ces réformes législatives visent à assurer des règles du jeu équitables et une plus grande transparence.

Si l'on s'attache aux détails de la législation électorale, l'histoire du droit de vote semble extrêmement complexe – un catalogue sans cesse changeant de règlements et de procédures. Plusieurs variations du droit de vote et de son exercice sont attribuables à la situation particulière de chaque province ou encore à l'étendue et à la remarquable diversité du pays. L'objet du présent ouvrage n'est pas de dresser une liste exhaustive des changements et des différences, mais plutôt d'esquisser les grandes lignes de l'évolution du droit de vote et du système électoral au cours des 200 dernières années et d'examiner les principaux facteurs de cette évolution.

Une lithographie du Canadian Illustrated News qui représente John Young s'adressant à une grande foule de supporters depuis un balcon.

Avant le vote secret, 1872

John Young, candidat à l'é'lection générale de 1872, s'adresse à un groupe de partisans après la fermeture d'un bureau de scrutin. À l'époque, chaque électeur déclare son choix devant la foule rassemblée. Ce n'est que six ans plus tard que le vote secret sera en usage pour la première fois à une élection générale. Bibliothèque et Archives Canada, Canadian Illustrated News, 7 septembre 1872, C-058780

Au Canada comme ailleurs, la bataille pour le suffrage universel n'a pas été gagnée en un jour. Le droit de vote évolue plutôt au gré des circonstances, s'élargissant et parfois se contractant selon les gouvernements et à mesure que les assemblées législatives modifient les règles afin d'accroître, de réduire ou de supprimer les obstacles au suffrage. Parmi les obstacles imposés, on trouve des restrictions liées à la richesse (ou, plus précisément, au manque de richesse), au sexe, à la religion et à l'origine ethnique. Comme il est mentionné dans les chapitres 1 et 2, ces obstacles varient d'une colonie à l'autre (les pratiques de vote varient également au sein d'une même colonie) et, plus tard, d'une province à l'autre.

La lutte pour le suffrage universel n'est pas mue seulement par des visées partisanes ou par la soif du pouvoir politique. La résistance à l'élargissement du droit de vote témoigne des réticences de la société du 19e siècle envers les idéaux de la démocratie libérale ainsi que des réserves que suscite alors le principe de la majorité, le suffrage universel étant lié à l'image de désordre et d'anarchie associée aux masses urbaines.

Le droit de vote s'élargit graduellement jusqu'à la Première Guerre mondiale (1914-1918), alors que divers groupes, incluant les défenseurs du suffrage des femmes, surmontent la résistance. Lorsque les femmes obtiennent le droit de vote, en 1918, l'électorat fédéral double du jour au lendemain. Pourtant, même si nul n'est plus privé de son droit de vote aux élections fédérales en raison de son sexe, d'autres restrictions persistent.

Photo en noir et blanc d'un couple canado-asiatique votant lors de l'élection fédérale de 1963. Le scrutateur dépose ses bulletins de vote dans l'urne.

Le suffrage universel, 1963

Au moment de l'élection générale de 1963, il ne subsiste aucun vestige de discrimination raciale ou religieuse dans la législation électorale fédérale. Pierre Gaudard, Musée des beaux-arts du Canada, Collection ONF

Au début des années 1960, le droit de vote est accordé à de nombreux autres groupes et particuliers qui, pour diverses raisons, ne pouvaient jusque-là voter. En 1982, le droit de vote est inscrit dans la Constitution par l'intermédiaire de la Charte canadienne des droits et libertés. Aujourd'hui, les deux seules grandes restrictions qui demeurent sont l'âge et la citoyenneté. L'article 3 de la Charte, qui stipule que « [t]out citoyen canadien a le droit de vote […] aux élections législatives fédérales ou provinciales », remet en question la constitutionnalité de diverses exclusions encore en vigueur en 1982. Les personnes visées par ces exclusions (les juges, les détenus, les expatriés, les personnes ayant une déficience intellectuelle) invoquent l'article 3 pour demander aux tribunaux d'y mettre fin, amenant ces derniers à jouer un rôle important dans la délimitation du droit de vote.

Les obstacles au droit de vote ne sont pas uniquement de nature juridique ou constitutionnelle : ils peuvent aussi être de nature procédurale ou administrative. Si une personne a le droit de voter, mais n'est pas en mesure d'exercer ce droit à cause d'obstacles inhérents aux règles électorales ou à la façon dont elles sont appliquées, ces obstacles constituent une entrave au droit de vote tel qu'il est prévu par le législateur. Au fil des ans, plusieurs mesures sont prises pour surmonter les obstacles de cette nature, entre autres le vote par procuration, le vote par anticipation, le vote postal, l'inscription le jour de l'élection, la diffusion d'information électorale en plusieurs langues, l'utilisation de gabarits pour les électeurs ayant une déficience visuelle ainsi que l'accès de plain-pied aux bureaux de scrutin. Bref, la Charte non seulement garantit le droit de vote, mais met également en lumière la nécessité de s'assurer que ce droit peut être exercé.

Photo d'un document montrant le texte de la Charte canadienne des droits et libertés.

Un droit démocratique

Les droits de voter et de poser sa candidature à une élection sont enchâssés dans la Charte canadienne des droits et libertés depuis 1982. Élections Canada

L'élargissement du droit de vote à pratiquement tous les citoyens adultes ne garantit toutefois pas l'intégrité du processus démocratique. D'autres facteurs entrent également en jeu.

D'abord, l'administration du processus doit être indépendante et non partisane. À cette fin, le poste de directeur général des élections est créé en 1920, et des commissions de délimitation des circonscriptions électorales sont établies en 1964. Plus récemment, la Loi électorale du Canada est modifiée de manière à ce que les directeurs du scrutin soient nommés par le directeur général des élections plutôt que par le gouvernement en place.

Ensuite, il importe que les candidats puissent s'affronter de façon égale et équitable. À cet effet, l'information concernant leurs activités de campagne doit être mise à la disposition des électeurs. À partir du début des années 1970, des réformes législatives concrétisent ces idéaux en prévoyant l'enregistrement des partis et des autres entités politiques, en réglementant le financement des partis et la publicité des tiers et en mettant en place d'autres mesures essentielles à la modération et à la transparence dans le processus électoral.

Plus récemment, des préoccupations concernant l'intégrité du vote entraînent l'adoption de nouvelles règles exigeant que les électeurs prouvent leur identité et leur adresse pour s'inscrire sur la liste électorale et voter à une élection fédérale. En outre, des irrégularités constatées dans les procédures de vote pendant l'élection générale de 2011 mènent à des changements visant à assurer le respect des procédures aux bureaux de vote. Par ailleurs, de nombreuses mesures juridiques, procédurales et informatiques sont mises en place par Élections Canada pour lutter contre les menaces à l'intégrité du vote relevant de la désinformation et de cyberattaques.

À l'origine un privilège réservé aux hommes de la classe possédante, le vote est devenu un droit universel lié à la citoyenneté canadienne. Comme le montrent les prochains chapitres, le chemin vers le suffrage universel a été parsemé d'embûches et de détours. Le système démocratique du Canada, comme celui d'autres pays, continue d'évoluer afin d'assurer à tous les citoyens la possibilité d'exercer leur droit de vote librement et en secret.

Photo de deux agents électoraux assis à une table, regardant une jeune femme déposer son bulletin de vote dans une urne.

Chaque vote compte

Une électrice, parmi les quelque 18,3 millions de personnes ayant participé à l'élection générale de 2019, vote sous le regard de membres du personnel électoral.

C'é'tait la première élection fédérale où les citoyens canadiens vivant à l'é'tranger depuis plus de cinq ans avaient le droit de voter. Èlections Canada