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Examen de la conformité : Rapport final et recommandations

Contexte

Le présent examen de la conformité découle d'une contestation judiciaire visant la conduite de l'élection générale fédérale du 2 mai 2011 dans la circonscription d'Etobicoke-Centre, en Ontario.

Décision de la Cour supérieure de l'Ontario

Le candidat arrivé second à cette élection, remportée par une marge de 26 votes après dépouillement judiciaire, avait demandé aux tribunaux d'annuler le vote, en faisant valoir que des « irrégularités » avaient entaché le résultatnote 1.

L'affaire a été entendue par le juge Thomas R. Lederer, de la Cour supérieure de l'Ontario, qui a annulé le 18 mai 2012 les résultats de l'élection contestéenote 2.

Dans sa décision écrite, le juge a expliqué que l'examen détaillé des documents remplis lors du vote, dans dix des 236 bureaux de scrutin de la circonscription, avait révélé un nombre important d'erreurs administratives graves commises par les fonctionnaires électoraux.

Le juge a déterminé que, dans ces dix bureaux de scrutin, les « irrégularités » administratives avaient invalidé 79 votes, soit 52 à cause d'erreurs graves dans l'administration des procédures d'inscription des électeurs et 27 à cause d'erreurs graves dans l'application des procédures relatives aux répondants qui attestent l'identité d'un électeur.

Plus précisément, 41 de ces votes ont été rejetés parce que la documentation requise n'a pas pu être trouvée, et 27, parce que les préposés au vote avaient incorrectement recueilli des renseignements requis par la Loi, ou omis complètement de les noter. Par ailleurs, 11 votes ont été rejetés parce que les fonctionnaires électoraux n'avaient pas, comme le prescrit la Loi, vérifié si la personne devant répondre de l'identité d'un électeur était elle-même un électeur inscrit résidant dans la même section de vote.

Comme les 79 votes « irréguliers » dans ces dix bureaux de scrutin dépassaient la pluralité de 26 votes qui avait tranché l'élection, et à la lumière de précédents judiciaires selon lesquels un scrutin est nul lorsque le nombre de votes irréguliers dépasse la pluralité des votes exprimésnote 3, le juge Lederer a annulé l'élection dans Etobicoke-Centre.

Il est à noter que cette décision a été prise au motif que des exigences administratives importantes n'avaient pas été respectées, et non que des électeurs inadmissibles avaient pu voter.

Décision de la Cour suprême du Canada

Le député d'Etobicoke-Centre a rapidement porté en appel devant la Cour suprême du Canada le jugement rendu par la Cour supérieure de l'Ontario.

Dans son arrêt du 25 octobre 2012, rendu par une majorité de 4 juges contre 3, la Cour suprême a tranché en faveur de l'appelant et a confirmé le résultat initial de l'élection dans Etobicoke-Centre. L'appel portait essentiellement sur la question suivante : qu'est-ce qui constitue vraiment une « irrégularité ayant influé sur le résultat de l'électionnote 4 »? À cette question, des réponses sensiblement différentes ont été données par les juges.

Ceux de la majorité ont soutenu que « seuls les votes émanant de personnes qui n'ont pas le droit de voter sont invalidesnote 5 ».

L'opinion minoritaire était que les votes irréguliers devaient être considérés comme invalides, et qu'une élection pouvait être annulée si des « irrégularités » administratives suffisamment nombreuses étaient attestées :

« Il faut interpréter le terme « irrégularité » comme s'entendant du non-respect des exigences de la Loi, sauf s'il s'agit d'un manquement de pure forme ou insignifiantnote 6. »

Dans son opinion majoritaire, la Cour n'a pas rejeté cette définition, mais, considérant le droit de vote comme le principe démocratique fondamental à protéger, elle a établi deux conditions devant être réunies pour qu'une « irrégularité » soit réputée avoir influé sur le résultat du scrutin.

Premièrement, il faut démontrer qu'une règle de loi destinée à établir l'admissibilité au vote n'a pas été appliquée correctement. Deuxièmement, le juge doit déterminer, à la lumière de l'ensemble de la preuve, si une personne inadmissible a voté.

La Cour, dans son opinion majoritaire, a fait valoir que rien ne prouvait que les manquements administratifs à des dispositions de la Loi avaient permis à des personnes inadmissibles de voter. Elle a donc jugé que les conditions d'annulation d'un scrutin prévues par la Loi électorale du Canada n'étaient pas satisfaites.

Cette affaire a néanmoins démontré que des fonctionnaires électoraux avaient fait de nombreuses erreurs graves dans l'exercice de leurs fonctions le jour de l'élection de 2011 dans Etobicoke-Centre, et la Cour suprême a clairement affirmé que de telles erreurs, dans d'autres circonstances, pourraient entraîner l'annulation judiciaire d'un scrutin.

Impact sur la confiance du public

Cette affaire a établi un précédent judiciaire, mais sa dimension la plus importante est peut-être d'avoir soulevé publiquement la question de l'impact des erreurs administratives sur l'intégrité du processus de vote. Dans son ensemble, le public comprend que des fonctionnaires électoraux s'assurent, le jour du scrutin, que les électeurs respectent certaines exigences d'inscription et d'identification. Ces exigences sont généralement vues comme des mesures de protection essentielles qui doivent être appliquées uniformément pour que les résultats du scrutin soient légitimes et significatifs.

Or, les citoyens peuvent perdre confiance dans leurs institutions électorales et les processus démocratiques s'ils ont l'impression que les règles et les procédures ne sont pas suivies. Même la perception de problèmes peut grandement saper cette confiance. La confiance du public dans le processus électoral est essentielle à la légitimité perçue de la gouvernance démocratique.

Examen de la conformité

C'est dans ce contexte global que l'examen de la conformité a été entrepris. Tandis que l'affaire d'Etobicoke-Centre était encore devant les tribunaux, Marc Mayrand, directeur général des élections du Canada, a annoncé publiquement qu'Élections Canada allait « accorder une plus grande importance au renforcement des mesures visant à améliorer la conformité aux procédures et aux normes applicables le jour du vote ».

Il a ensuite posé les fondements sur lesquels reposerait subséquemment l'examen de la conformité :

« Nous avons trois objectifs: premièrement, réviser les processus de vote et d'inscription des électeurs à la lumière de ce qui s'est passé dans Etobicoke-Centre; deuxièmement, évaluer l'efficacité des mesures de contrôle existantes et, troisièmement, obtenir la coopération d'intervenants clés afin de mettre en place des solutions pour l'élection de 2015note 7. »

À l'été 2012, les gestionnaires d'Élections Canada ont convenu d'une méthode générale et d'un échéancier pour l'examen, et ont choisi le consultant indépendant qui le réaliserait. Son mandat figure à l'annexe F, et sa notice biographique, à l'annexe G.

L'examinateur a d'abord exposé dans un plan de travail détaillé sa méthodologie exacte, sa stratégie de consultation des intervenants, ses méthodes d'analyse et le soutien dont il aurait besoin. Ce plan de travail a été accepté le 27 septembre 2012, et les travaux ont commencé immédiatement.

Collecte d'information

Le plan de travail reposait sur la collecte d'information. Pour commencer, l'examinateur a interrogé des administrateurs et fonctionnaires électoraux de tous les niveaux, à l'échelle fédérale, provinciale et territoriale. Il a ensuite conçu et fait produire un rapport de recherche officiel sur les « pratiques exemplaires » de conformité pour les fonctionnaires électoraux au Canada et à l'étrangernote 8. Il a également conçu, et commandé à un expert universitaire, une analyse historique de l'évolution des fonctions confiées par la Loi aux préposés aux scrutins fédérauxnote 9. L'examinateur lui-même a procédé à l'analyse détaillée de la législation pertinente et a passé en revue les manuels de formation et recueils de procédures destinés aux fonctionnaires électorauxnote 10.

Une « vérification de la conformité » de la documentation remplie aux dix bureaux de scrutin contestés dans Etobicoke-Centre a été suivie d'une vérification nationale d'un échantillon aléatoire de 1 000 bureaux de scrutin; on a ensuite mesuré l'observation des procédures lors des trois élections partielles fédérales du 26 novembre 2012. Ces vérifications, qui ont confirmé la nature systémique du problème de la non-conformité, sont résumées à l'annexe C.

De l'information a été recueillie sur place grâce à l'observation détaillée des élections partielles dans Durham, Calgary-Centre et Victoria en octobre et en novembre 2012. Les administrateurs de ces scrutins ont également été interviewés, et l'examinateur a observé et interrogé des fonctionnaires électoraux de toutes catégories à de nombreux endroits, pendant la formation et le jour du scrutin.

Mise à contribution des intervenants

L'examen avait pour second volet une série d'activités permettant de consulter de manière réelle et utile les cinq groupes d'intervenants suivants :

  1. experts des partis politiques en matière d'élections;
  2. travailleurs électoraux de première ligne des trois élections partielles;
  3. gestionnaires des scrutins fédéraux dans les circonscriptions;
  4. directeurs généraux des élections des provinces et des territoires;
  5. haute direction et personnel d'Élections Canada à Ottawa.

Sont énumérés à l'annexe E tous les représentants de ces groupes qui ont été consultés.

Des membres des trois premiers groupes d'intervenants ont été invités à des ateliers animés par l'examinateur. On y a discuté des causes de la non-observation des règles par les fonctionnaires électoraux, et des solutions efficaces qui pourraient être apportées d'ici l'élection générale de 2015. Les participants ont débattu avec beaucoup d'énergie et d'enthousiasme, en apportant à la discussion quantité de détails et d'éclairages utiles.

Rapport d'étape

Le troisième élément du plan de travail était la production d'un « rapport d'étapenote 11 » sur ce qui avait été appris jusque-là grâce à la collecte d'information et à la consultation des intervenants. L'examinateur a rédigé ce rapport qui a été distribué la troisième semaine de janvier 2013, dans les deux langues officielles, à tous les participants de l'examen et aux membres des groupes d'intervenants.

Le rapport d'étape a permis aux participants de l'examen de développer une compréhension commune des causes du problème et des solutions potentielles. De manière secondaire, il a servi à obtenir des commentaires importants sur les ajouts à faire; à compléter le portrait des causes; et à permettre aux participants d'indiquer les solutions qu'ils privilégiaient à cette étape. La plupart des 105 participants qui ont reçu le rapport d'étape ont fourni une superbe rétroaction détaillée.

Rapport final et recommandations

Le quatrième et dernier élément structurel du plan de travail était l'examen et l'analyse de la totalité de la rétroaction reçue des participants. C'est aussi à cette étape que devait s'effectuer toute recherche supplémentaire jugée nécessaire, et que l'examinateur devait établir ses conclusions, faire ses recommandations et produire le présent rapport.


note 1 Alinéa 524(1)b) de la Loi électorale du Canada : « Tout électeur qui était habile à voter dans une circonscription et tout candidat dans celle-ci peuvent, par requête, contester devant le tribunal compétent l'élection qui y a été tenue pour les motifs suivants : irrégularité, fraude, manœuvre frauduleuse ou acte illégal ayant influé sur le résultat de l'élection. »

note 2 Wrzesnewskyj c. Procureur général (Canada), 2012 CSON 2873 (CanLII); en ligne à www.iijcan.org/en/on/onsc/doc/2012/2012onsc2873/2012onsc2873.html

note 3 Wrzesnewskyj c. Procureur général (Canada), par. 71, renvoi à O'Brien c. Hamel, par. 25.

note 4 Loi électorale du Canada, al. 524(1)b); en ligne à : www.elections.ca/content.aspx?section=res&dir=loi/fel/cea&document=index&lang=f

note 5 Cour suprême du Canada, Opitz c. Wrzesnewskyj, 2012 CSC 55; introduction de l'opinion majoritaire, 2e par., p. 6; en ligne à : http://scc.lexum.org/decisia-scc-csc/scc-csc/scc-csc/fr/12635/1/document.do.

note 6 Opitz c. Wrzesnewskyj; introduction de l'opinion dissidente, 3e par., p. 11.

note 7 Chambre des communes du Canada, Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignages, le mardi 29 mai 2012. En ligne, entre les marqueurs 1140 et 1145, à : www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?DocId=5614754&Mode=1&Parl=41&Ses=1&Language=F#T1140

note 8 Pratiques exemplaires visant à assurer la conformité aux procédures d'inscription et de vote, rédigé par Rohan Kembhavi, analyste de la recherche et de la politique, Élections Canada. En ligne à : www.elections.ca/content.aspx?section=res&dir=cons/comp/bp&document=index&lang=f

note 9 Inscription et vote le jour du scrutin et pendant le vote par anticipation – L'évolution des tâches du personnel électoral de 1920 à 2012, rédigé par le professeur Louis Massicotte, Université Laval.

note 10 Voir annexe A : Tableau des responsabilités imposées par la Loi aux fonctionnaires électoraux et annexe B : Schéma de déroulement du processus – Bureaux de scrutin ordinaires.

note 11 Examen de la conformité – Rapport d'étape. En ligne à : www.elections.ca/content.aspx?section=res&dir=cons/comp/crir&document=index&lang=f