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Déclarations et discours


Allocution du directeur général des élections

sur le projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et
d'autres lois et modifiant certaines lois en conséquence


devant le
Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles

8 avril 2014

Le discours prononcé fait foi

Merci, Monsieur le Président.

Je suis heureux de comparaître aujourd'hui dans le cadre de l'étude préliminaire du projet de loi C-23. Je suis accompagné de M. Stéphane Perrault, sous-directeur général des élections, Services juridiques, Conformité et Enquêtes.

Comme il s'agit d'une étude préliminaire, je crois qu'il serait utile de prendre un peu de recul et de vous donner mon point de vue sur les objectifs fondamentaux de notre processus électoral, ainsi que sur les défis auxquels nous sommes actuellement confrontés. J'espère que cela aidera le Comité à évaluer dans quelle mesure le projet de loi C-23 contribue à résoudre ces défis.

Bien que je compte attirer votre attention sur certains éléments du projet de loi, je n'ai pas l'intention de décrire en détail les diverses modifications que je recommande. J'ai apporté un tableau présentant ces modifications et cela me fera plaisir d'en discuter après mon allocution, si le Comité le souhaite.

1. Objectifs fondamentaux de notre système électoral

Le cadre législatif qui gouverne les élections canadiennes est le reflet de certaines valeurs ou d'objectifs démocratiques fondamentaux, soit l'accessibilité, l'équité et la confiance. Dans la modernisation du processus électoral, il est utile de considérer ces objectifs.

Accessibilité

Par « accessibilité », j'entends le droit de voter et de se porter candidat aux élections fédérales, et les moyens d'exercer ce droit. Notre Constitution garantit le droit de vote à tous les citoyens canadiens. Toutefois, ce droit n'a de valeur que si un cadre juridique et opérationnel permet son exercice.

Au fil des ans, le droit de vote a non seulement été élargi, mais les obstacles à son exercice ont été réduits en offrant aux électeurs différentes options, afin que tous les Canadiens puissent effectivement exercer leur droit de vote, quelle que soit leur situation personnelle. Bien que des obstacles subsistent, particulièrement pour les électeurs handicapés, nous avons l'obligation constitutionnelle de tenter de réduire ces obstacles. Nous nous sommes également engagés à le faire en vertu de la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées.

Équité

Le deuxième objectif fondamental de notre système électoral est l'équité. J'entends par là que le système doit permettre à tous ceux qui briguent les suffrages de s'affronter à armes relativement égales. Les tribunaux et les experts utilisent souvent l'expression « égalité des chances » pour décrire notre régime de plafonds de dépenses électorales, grâce auquel les élections ne sont pas dominées par ceux qui ont accès aux plus grandes ressources. Les plafonds de contributions, de même que le financement public, contribuent également à l'égalité des chances.

L'équité signifie également l'absence de partisannerie réelle ou apparente dans l'administration des élections. À cet égard, l'équité est liée au troisième objectif, qui est la confiance.

Confiance

L'importance de préserver la confiance dans l'intégrité du processus électoral se reflète dans les diverses garanties procédurales contre la fraude, qui assurent transparence et fiabilité des résultats.

La confiance dépend également de l'existence de mécanismes d'exécution de la Loi rapides et efficaces, qui favorisent le respect des règles et permettent d'intervenir en cas de non-conformité. Dans notre système, c'est le commissaire aux élections fédérales qui est chargé de l'exécution de la Loi.

Compte tenu de ces objectifs – accessibilité, équité et confiance –, quels sont les principaux défis auxquels notre démocratie électorale est confrontée?

2. Principaux défis pour notre démocratie électorale

Participation électorale

À mon avis, le problème le plus important pour notre démocratie à l'heure actuelle est le déclin de la participation électorale. Ce phénomène n'est pas récent et est loin d'être propre au Canada. Toutefois, notre taux de participation est l'un des plus bas parmi les démocraties avancées.

Le déclin de la participation électorale est principalement causé par la baisse de la participation des jeunes à partir des années 1970. Nos recherches nous ont appris que les jeunes adultes qui ne votent pas à leur première élection ont également tendance à ne pas voter en vieillissant. C'est pourquoi les programmes d'éducation civique sont si importants. Il existe cependant des indices encourageants. De 2004 à 2011, le taux de participation des électeurs qui votent pour la première fois s'est stabilisé et semble vouloir augmenter.

Cela dit, la priorité d'Élections Canada est de veiller à ce que ceux qui souhaitent voter aient toute l'information nécessaire. Lors de la dernière élection générale, 98 % de nos dépenses en rayonnement et en information, soit environ 33 millions de dollars, étaient pour indiquer aux électeurs où, quand et comment voter. Par contre, le programme d'élections parallèles administré par « Vote étudiant » a coûté moins de 800 000 $, soit 2 % de ces dépenses.

Il reste néanmoins des électeurs pour lesquels il est difficile de participer. Avec le vieillissement rapide de la population, un nombre croissant de ces électeurs sont des personnes âgées, qui sont généralement moins mobiles et ont plus de difficulté à satisfaire aux exigences d'identification. C'est surtout le cas pour la preuve d'adresse. C'est pourquoi à la dernière élection générale, j'ai autorisé l'utilisation de la carte d'information de l'électeur, avec une autre pièce d'identité, dans certains lieux de vote, soit les résidences pour personnes âgées, les résidences pour étudiants et les réserves autochtones.

Forts de l'expérience acquise lors de la dernière élection générale, de l'expérience d'autres juridictions et en consultation avec les partis politiques, nous avions prévu d'autoriser tous les électeurs à présenter leur carte d'information comme preuve d'adresse, avec une autre pièce d'identité, à l'élection de 2015. Cela permettrait d'éliminer certains obstacles et de réduire les recours à un répondant, un processus qui s'est avéré complexe à appliquer pour les travailleurs électoraux.

Complexité

Un deuxième problème important pour notre système électoral tient justement à la complexité des règles. Lorsque les règles sont trop complexes, cela crée des obstacles à la participation ou produit des situations de non-conformité qui minent la confiance dans l'intégrité de l'élection.

La complexité est un problème pour les procédures de vote. Ces procédures sont administrées par quelque 200 000 citoyens ordinaires qui ont reçu peu de formation et n'ont souvent aucune expérience. Conçu au 19e siècle, notre processus de vote repose sur deux travailleurs – un scrutateur et un greffier du scrutin – qui sont chargés d'administrer l'ensemble des procédures de votation. Le système était simple au départ, mais les modifications successives de la Loi, en particulier les règles d'identification des électeurs promulguées en 2007, ont énormément compliqué la tâche des préposés au scrutin.

La complexité des règles pose également problème pour le financement politique. Là encore, des réformes successives au cours des dernières années sont venues accroître la complexité des règles. Encore une fois, le régime repose en grande partie sur les bénévoles qui exercent les fonctions d'agent officiel auprès des candidats. Ces agents doivent veiller à ce que la campagne respecte toutes les exigences de la Loi et produire le rapport financier.

Il est devenu de plus en plus difficile pour ces bénévoles de comprendre et de respecter les exigences régulatoires. Dans mes recommandations au Parlement, j'ai tenté de proposer des moyens de réduire le fardeau régulatoire ainsi que de simplifier et de clarifier les règles pour le bénéfice de tous les participants. Cela demeure l'une de mes préoccupations.

Observation et exécution de la Loi

Enfin, le troisième problème auquel nous sommes confrontés est le manque de mécanismes adéquats d'observation et d'exécution de la Loi, permettant d'intervenir rapidement et efficacement en cas d'infraction.

À l'heure actuelle, seules des infractions et des sanctions pénales sont prévues dans la Loi en cas de contravention. Cette approche est très lourde et très longue. Elle est inadaptée à la majorité des cas de non-conformité, pour lesquels des sanctions administratives seraient plus efficaces.

Par ailleurs, lorsqu'une enquête est justifiée, l'expérience a démontré que le commissaire est mal outillé pour la mener rapidement et efficacement. De plus, les amendes prévues dans la Loi ne sont pas assez sévères.

3. Incidence du projet de loi C-23

Je voudrais maintenant traiter du projet de loi C-23. Je vous invite, lorsque vous examinerez le projet de loi, à prendre en considération les répercussions qu'il aura sur les problèmes que j'ai cernés, ainsi que sur les objectifs fondamentaux de notre système électoral.

Éléments positifs

Quelques éléments du projet de loi C-23 aideront à résoudre certains problèmes et appuient les objectifs fondamentaux de notre régime.

L'ajout d'une journée de vote par anticipation offrira aux Canadiens une plus grande souplesse pour exercer leur droit de vote. Je dois dire cependant que la preuve à cet égard suggère que l'impact de cet ajout sur la participation sera limité.

J'accueille aussi favorablement l'augmentation proposée des amendes. Plus important encore, je pense que l'ajout de sanctions administratives pour les dépassements des plafonds par les partis politiques ou les candidats est un changement d'approche positif. Cette mesure s'écarte du modèle traditionnel de sanction pénale, et j'espère vivement qu'elle servira de base aux futures réformes.

Éléments à améliorer

Le projet de loi C-23 comprend également des mesures de réforme qui, bien que positives, nécessitent des modifications afin de produire les bénéfices souhaités.

Cela est particulièrement vrai des dispositions proposées pour les lignes directrices et les avis écrits. Ces outils pourraient être extrêmement utiles, mais ils ne sont pas fonctionnels tels que stipulés dans le projet de loi. Des modifications sont nécessaires afin de permettre la prise de décisions dans un délai raisonnable. D'autres changements sont également requis pour prévenir les abus partisans qui pourraient survenir si les partis politiques sont autorisés à requérir des avis formels sur des questions sous enquête ou en instance devant un tribunal. De plus, si les décisions doivent être contraignantes pour le directeur général des élections et le commissaire, elles devraient l'être également pour les vérificateurs externes des partis.

Les dispositions relatives aux services d'appels aux électeurs doivent également être améliorées. Pour être utiles, les dispositions doivent non seulement requérir des informations sur les fournisseurs de services, les clients et les scripts, mais aussi exiger la conservation et la communication des numéros de téléphone composés. De plus, les appels effectués par les partis politiques et les candidats à l'aide de leur propre personnel ou de leurs bénévoles devraient être visés par des exigences de communication. Sous sa forme actuelle, le projet de loi semble accroître le fardeau régulatoire des entités politiques (et des fournisseurs de service) sans améliorer de façon notable l'intégrité du processus et la rapidité des enquêtes.

Préoccupations fondamentales

Enfin, plusieurs aspects du projet de loi sont très préoccupants. J'estime qu'il est de mon devoir, en tant que directeur général des élections, de transmettre clairement ces préoccupations au Parlement. Je m'attarderai à cinq aspects en particulier.

Le premier aspect touche les restrictions proposées sur l'identification des électeurs, à savoir l'élimination du recours au répondant pour les électeurs qui ne peuvent pas fournir de preuve d'identité et d'adresse, et l'élimination de la carte d'information de l'électeur accompagnée d'une autre pièce d'identité.

On a fait valoir que tous les électeurs devraient avoir des documents d'identité pour voter. Mais là n'est pas la question. Pour beaucoup de Canadiens, le véritable problème c'est de détenir une preuve d'adresse.

L'idée selon laquelle tous les Canadiens disposent de documents prouvant à la fois leur identité et leur adresse actuelle est tout simplement fausse et ne reflète pas notre expérience. Par exemple, les personnes âgées vivant dans des établissements de soins de longue durée n'ont, bien souvent, pas de permis de conduire, et ne disposent pas de carte d'assurance-maladie ou de facture d'électricité, ces documents étant souvent conservés par leurs enfants ou l'administrateur de l'établissement. Les jeunes Canadiens vivent couramment chez leurs parents ou, étudiants, déménagent fréquemment. Bien souvent, il leur est impossible de présenter une preuve de leur adresse actuelle.

On estime à 120 000  le nombre d'électeurs actifs ayant recours à un répondant. Avec les règles proposées, il est probable qu'un grand nombre d'entre eux ne pourra pas voter.

Tout aussi important, en l'absence de preuve indiquant que le recours à un répondant ou l'utilisation de la CIE servent à commettre de la fraude, leur élimination non seulement compromettra l'accessibilité mais ne fera rien pour accroître l'intégrité du processus électoral. Nous n'avons trouvé aucune juridiction au Canada ou une exigence de preuve documentaire d'adresse n'est pas accompagnée d'une mesure alternative telle que le recours à un répondant ou une déclaration.

Un deuxième aspect préoccupant du projet de loi C-23 est son incidence négative sur l'équité des règles du jeu, en raison de l'augmentation des plafonds de dépenses et, surtout, de l'exception pour certaines dépenses liées aux activités de financement, qui crée une échappatoire au régime. Il est difficile de concevoir que l'on puisse recueillir des fonds sans faire la promotion d'un parti ou d'un candidat. Il n'y a également aucun moyen de surveiller si les personnes invitées à verser des fonds font partie de la catégorie acceptable des anciens donateurs, puisque la Loi n'exige pas de déclarer les noms des donateurs qui versent 200 $ ou moins – soit la grande majorité des donateurs (78 % entre 2007 et 2012). Il n'est pas non plus nécessaire d'indiquer les donateurs qui ont été sollicités. Cette exception n'est tout simplement pas vérifiable et constitue une invitation aux abus.

Un troisième aspect du projet de loi C-23 que je trouve inquiétant est l'interdiction pour le directeur général des élections d'informer le public sur tout sujet, à l'exception, essentiellement, de où, quand et comment s'inscrire et voter. Bien sûr, il est essentiel qu'Élections Canada informe le public sur ces questions. Comme je l'ai indiqué, 98 % de nos dépenses d'information et de rayonnement à la dernière élection étaient affectées à cette tâche.

La mesure proposée ne se contenterait pas d'assurer que cela continue d'être une priorité : elle interdirait toute autre communication avec le public, ce qui nous empêcherait de publier des recherches fondamentales, de participer à des projets d'éducation civique et d'informer les Canadiens sur des activités frauduleuses ou les moyens de les prévenir.

Le directeur général des élections doit être en mesure de s'exprimer librement et ouvertement sur tout aspect du processus électoral. La restriction imposée limiterait ma capacité à conduire et à superviser adéquatement des élections libres et équitables et minerait la confiance du public dans le processus électoral.

Un quatrième aspect préoccupant du projet de loi C-23 concerne l'affaiblissement de la capacité du commissaire à intervenir efficacement et faire respecter la Loi électorale du Canada.

Le commissaire actuel et son prédécesseur ont tous deux indiqué que leur efficacité dépend de leur accès direct et sans entrave aux renseignements et à l'expertise d'Élections Canada. Ils craignent également que le transfert du Bureau du commissaire au Bureau du directeur des poursuites pénales limite la capacité du commissaire à intervenir pendant une élection, en collaboration avec Élections Canada et les fonctionnaires électoraux, afin de résoudre des cas de non-conformité.

Ils ont également souligné l'importance d'amender le projet de loi C-23 afin d'y inclure le pouvoir d'obtenir une ordonnance d'un tribunal afin de contraindre une personne à témoigner. Ils ont indiqué que l'absence d'un tel pouvoir a considérablement entravé la recherche des faits dans des enquêtes importantes sur des infractions électorales.

Enfin, en cinquième et dernier lieu, je ne crois pas que la confiance des Canadiens dans le système électoral augmentera si l'on ajoute les superviseurs de centre de scrutin à la liste des fonctionnaires électoraux nommés par les partis politiques. Tous les fonctionnaires électoraux devraient être nommés exclusivement au mérite, et en particulier les superviseurs de centre de scrutin. À mon avis, cette disposition devrait être retirée du projet de loi.

Conclusion

Considérant toutes ces questions et les défis importants auxquels notre démocratie électorale est confrontée, je ne peux que conclure que des modifications au projet de loi sont nécessaires – des modifications qui incluent mais qui vont au-delà des enjeux liés à l'identification des électeurs.

J'espère que les membres de ce comité et que le Sénat dans son ensemble apporteront, dans leur sagesse, les modifications requises au projet de loi afin de permettre un plus large consensus. Cela m'apparaît essentiel afin de susciter la confiance dans notre système électoral et je suis disposé à fournir toute l'aide nécessaire en ce sens. Comme je l'ai indiqué précédemment, j'ai apporté un tableau des modifications proposées, et je suis tout à fait ouvert à considérer des alternatives avec ce comité.

Monsieur le Président, c'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

Merci.