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L'évolution du droit de vote fédéral

La plupart des Canadiens tiennent pour acquis qu'à peu près tous les citoyens majeurs ont le droit de voter. Or, dans les premières années du pays, les personnes qui pouvaient voter étaient beaucoup moins nombreuses que celles qui ne le pouvaient pas.

Au début, on est loin du concept « une personne, une voix » : seuls les hommes peuvent alors voter – et encore, pas tous. Le droit de voter et d'être candidat à une élection fédérale est réservé aux hommes de plus de 21 ans qui répondent à certaines exigences en matière de propriété (le cens). On exclut ainsi les femmes, les Autochtones et les membres de certaines confessions religieuses. Au moment de la création de la fonction de directeur général des élections, en 1920, l'élargissement du droit de vote est bien engagé, mais il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, l'exclusion fondée sur des critères raciaux et religieux a persisté sous une forme ou une autre jusqu'en 1960.

De telles exclusions prenaient racine dans les décisions des premières législatures provinciales et affectèrent le droit de vote fédéral pendant des décennies. À la première élection générale tenue après la Confédération en 1867, seule une faible minorité est habilitée à voter pour élire les 181 députés des quatre provinces de l'époque. À la fin des années 1800, le droit de vote fédéral n'est pas régi par une loi fédérale, mais par les lois de chaque province. Certains groupes, comme les immigrants japonais, chinois et indiens qui n'étaient pas d'origine anglo-saxonne, sont ainsi exclus de l'électorat.

En 1885, le Parlement canadien établit un système complexe de droit de vote fédéral fondé sur la propriété foncière. L'application des règles diffère d'une province et d'une ville à l'autre. Cette année-là, les Autochtones de certaines parties du pays reçoivent le droit de vote.

C'est la Première Guerre mondiale qui entraînera les plus grands changements dans le droit de vote fédéral. En 1915, le droit de vote par correspondance est accordé aux militaires en service. En 1917, le Parlement adopte la Loi des élections en temps de guerre et la Loi des électeurs militaires. Le droit de vote est accordé à tous les sujets britanniques, hommes ou femmes, qui sont membres actifs ou retraités des Forces canadiennes, y compris les Indiens (au sens de la Loi sur les Indiens) et les personnes de moins de 21 ans. Environ 2 000 infirmières militaires, surnommées les « Bluebirds », sont les premières Canadiennes à exercer ce droit. Les civils masculins qui ne sont pas propriétaires fonciers mais dont un fils ou un petit-fils fait partie des Forces canadiennes obtiennent temporairement aussi le droit de vote, de même que les femmes dont un parent proche sert ou a servi dans les Forces canadiennes.

Le gouvernement unioniste de sir Robert Borden n'élargit pas ainsi le suffrage en reconnaissance de droits fondamentaux. Il cherche plutôt à se rallier des groupes perçus comme des alliés probables, dont les militaires en service et les femmes de leur parenté. Parallèlement, la législation retire le droit de vote à des adversaires probables, comme les objecteurs de conscience, les Mennonites, les Doukhobors et les néo-Canadiens de fraîche date originaires de pays non anglophones.

En 1918, le suffrage aux élections fédérales est étendu à toutes les femmes de 21 ans ou plus. L'année suivante, le mouvement des suffragettes remporte une victoire importante : les femmes deviennent éligibles à la Chambre des communes. Agnes Macphail est la première femme élue à la Chambre, en 1921.

En 1920, l'Acte des élections fédérales crée la fonction de directeur général des élections. Dorénavant, le droit de vote fédéral est régi par la législation fédérale, et non provinciale. Les sujets britanniques de naissance ou naturalisés obtiennent le droit de vote, mais non certains citoyens nés à l'étranger, qui en sont privés jusqu'en 1922. On compte alors 235 sièges aux Communes. À l'élection du 6 décembre 1921, quelque 4,4 millions d'électeurs figurent sur les listes. La moitié de la population environ a le droit de vote.

L'année 1948 amène d'autres changements. Les derniers vestiges du suffrage censitaire, encore en vigueur au Québec, sont abolis. Le droit de vote est étendu aux Canadiens d'origine asiatique. Un étudiant peut s'inscrire dans deux circonscriptions, celle de son domicile familial et celle de son université (mais ne peut voter que dans une seule).

En 1955, les épouses des électeurs militaires obtiennent le droit de voter selon ces mêmes règles spéciales (mais peuvent encore voter selon les mécanismes civils, si elles se trouvent au Canada). L'interdiction de vote touchant les objecteurs de conscience est abolie la même année.

Une nouvelle Loi électorale du Canada, en 1960, élimine d'autres obstacles au vote. Jusque-là, les Indiens inscrits vivant dans une réserve n'avaient pas le droit de vote, contrairement aux Inuits, qui l'avaient obtenu en 1953. Le vote par anticipation est aussi élargi à tous les électeurs qui prévoient être absents de leur section de vote le jour d'élection.

Dix ans plus tard, en 1970, des modifications législatives abaissent l'âge du vote et l'âge de la candidature de 21 à 18 ans. Le droit de vote est dorénavant réservé aux citoyens canadiens, quoique les sujets britanniques admissibles en date du 25 juin 1968 conservent ce droit jusqu'en 1975. On introduit également un vote par procuration pour les pêcheurs, les marins, les prospecteurs et les étudiants à temps complet absents de leur circonscription le jour d'élection et lors du vote par anticipation. Le droit de vote par anticipation est étendu aux personnes handicapées, et tous les bureaux de vote par anticipation doivent leur être accessibles de plain-pied.

En 1977, le vote par procuration est élargi aux membres des équipages d'avion, aux membres des équipes de forestiers et d'arpentage ainsi qu'aux trappeurs.

En 1982, la nouvelle Charte canadienne des droits et libertés inscrit dans la Constitution le droit de tous les citoyens de voter et d'être candidat à une élection, ouvrant la voie à la contestation judiciaire de règlements de vote jugés discriminatoires.

L'adoption de la Charte entraîne d'autres changements. Environ 500 juges de nomination fédérale votent pour la première fois en 1988 après qu'un article de la Loi électorale du Canada les privant du droit de vote a été jugé inconstitutionnel. La même année, un tribunal accorde le droit de vote aux personnes ayant une déficience intellectuelle, de même qu'aux détenus purgeant une peine de moins de deux ans.

En 1992, le Parlement modifie la Loi pour faciliter le vote aux personnes ayant une déficience. Il s'agit notamment d'assurer l'accès de plain-pied à tous les bureaux de scrutin. Les bureaux de scrutin itinérants voient également le jour. L'année suivante, une modification législative donne le droit de voter par bulletin spécial à tout électeur qui ne peut se rendre à un bureau de vote ordinaire ou par anticipation. Le bulletin spécial est aujourd'hui utilisé par les étudiants éloignés de leur foyer, les vacanciers, les gens d'affaires, les électeurs incarcérés et les gens temporairement établis à l'étranger, y compris les membres des Forces canadiennes et certains fonctionnaires.

Le 31 octobre 2002, la Cour suprême du Canada statue que l'article de la Loi électorale du Canada interdisant le vote aux détenus purgeant une peine de deux ans ou plus va à l'encontre de la Charte. Tous les électeurs incarcérés peuvent dès lors voter par bulletin spécial aux élections générales et partielles et aux référendums fédéraux, peu importe la durée de leur peine.

Le mouvement des suffragettes, la Première Guerre mondiale, l'abaissement de l'âge électoral et la suppression de mesures racialement discriminatoires ont tous contribué à étendre le droit de vote à l'ensemble des Canadiens adultes.

Aujourd'hui, tous les citoyens canadiens de 18 ans ou plus ont le droit de vote, à l'exception du directeur général des élections du Canada et du directeur général adjoint des élections (si ce poste existe), qui doivent toujours garder leur impartialité.

À la plus récente élection générale fédérale, en 2004, sur une population de près de 32 millions d'habitants, environ 22,5 millions de personnes figuraient sur les listes électorales définitives. Presque toutes les personnes non inscrites n'avaient pas 18 ans ou la citoyenneté canadienne. Au total, 61 % des électeurs ont exercé leur droit de vote.

Ainsi, le parcours qui nous a conduits au suffrage très large d'aujourd'hui ne s'est pas fait sans heurts. Au fil des ans, certains progrès ont été contrebalancés par des reculs dictés par les circonstances du moment. L'adoption de la Charte est le principal facteur qui a contribué à l'élimination des derniers vestiges de discrimination dans ce domaine.

Grâce au vote par anticipation, à l'accès universel au vote par bulletin spécial, à l'inscription le jour d'élection et à la généralisation de l'accès de plain-pied aux bureaux de scrutin, pratiquement tout adulte canadien a maintenant le droit – et les moyens – de voter.

L'histoire du vote au Canada

Pour une étude approfondie de l'évolution du droit de vote fédéral, veuillez consulter L'histoire du vote au Canada , un ouvrage illustré réalisé par une équipe d'historiens et de professeurs.



Décembre 2014