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Parachever le cycle des réformes électorales – Recommandations du directeur général des élections du Canada sur la 38e élection générale


Chapitre 3 – La radiodiffusion

3.1 Une répartition plus simple et équitable du temps d'antenne


Les règles de répartition du temps d'antenne gratuit et payant devraient être plus simples et équitables, et permettre à l'électorat un accès adéquat aux points de vue des partis établis et des partis émergents, grâce aux mesures suivantes :

  • Chaque parti enregistré devrait avoir le droit d'acheter à chaque radiodiffuseur jusqu'à 100 minutes de temps payant au taux unitaire le plus bas.
     
  • Chaque radiodiffuseur devrait être soumis à une limite maximale de 300 minutes. Si l'ensemble des demandes de temps présentées à une station par les partis enregistrés dépasse cette limite, les 300 minutes devraient être distribuées à ces partis dans les mêmes proportions que leurs demandes.
     
  • Chaque parti enregistré devrait alors avoir le droit d'acheter à chaque radiodiffuseur du temps payant additionnel au taux unitaire le plus bas, sous réserve du temps d'antenne disponible.
     
  • Les partis pourraient acheter du temps payant seulement dans les limites de leur plafond de dépenses.
     
  • Chaque radiodiffuseur (par opposition à réseau) qui accepte la publicité devrait être tenu de libérer 60 minutes de temps gratuit aux heures de grande écoute49, divisées à parts égales entre les partis enregistrés.

Le régime actuel de répartition du temps d'antenne (ou temps d'émission) gratuit et payant est trop complexe et doit être réformé.

Par ailleurs, la viabilité du régime de répartition du temps gratuit est sérieusement compromise maintenant que la CBC reste le seul réseau de télévision de langue anglaise obligé de fournir du temps gratuit à des fins politiques. Comme CTV a perdu son statut de réseau en 2004, les partis ont eu accès à moitié moins de temps gratuit de langue anglaise à la 38e élection générale.

Enfin, le processus de répartition actuel, qui est fortement axé sur les succès électoraux antérieurs, pourrait enfreindre les principes établis par la Cour suprême du Canada dans Figueroa c. Canada (Procureur général).

Le régime législatif actuel

La Loi électorale du Canada ne limite pas le temps qu'un parti enregistré ou admissible peut acheter en période de grande écoute, pourvu qu'il respecte le plafond de dépenses électorales prévu par la Loi. Toutefois, puisque le temps d'antenne disponible pour achat en période de grande écoute est limité, la Loi prévoit un bloc minimal de ce temps (390 minutes) à libérer pour achat par les partis enregistrés. Ce temps est réparti entre les partis enregistrés d'après une formule prescrite par la Loi, et les partis sont libres d'acheter du temps additionnel, à condition que les radiodiffuseurs acceptent de le leur vendre.

Quant aux partis admissibles, la Loi les autorise à acheter, à partir d'un réservoir maximal de 39 minutes, soit la plus petite portion de temps allouée à un parti enregistré, soit 6 minutes.

Si, lors des réunions annuelles que la Loi l'oblige à tenir pour réexaminer la répartition, l'arbitre en matière de radiodiffusion constate que le total du temps d'antenne distribué entre les partis enregistrés et admissibles dépasse 390 minutes, il doit réduire les quantités de minutes réparties pour ramener le total à 390 minutes.

La répartition obligatoire du temps d'antenne à libérer pour achat en période de grande écoute s'appuie sur des facteurs qui accordent plein coefficient au pourcentage des sièges occupés à la Chambre des communes et au pourcentage des votes que chaque parti enregistré a recueilli à la dernière élection générale, ainsi que demi-coefficient au pourcentage de candidats soutenus par chacun des partis enregistrés à l'élection générale par rapport au nombre total de candidats soutenus. L'arbitre en matière de radiodiffusion peut modifier cette formule s'il estime qu'elle serait inéquitable pour l'un des partis enregistrés ou contraire à l'intérêt public.

La Loi stipule que les différends liés à l'achat de temps selon cette formule sont réglés par l'arbitre en matière de radiodiffusion.

La répartition du temps payant n'entraîne pas nécessairement l'utilisation des ressources disponibles. Par exemple, dans la décision qu'elle a rendue en 1995 dans l'affaire Parti Réformiste du Canada c. Canada (Procureur général)50, la Cour d'appel de l'Alberta signalait qu'à cette époque certains partis avaient utilisé tout le temps qui leur avait été alloué sur quelques stations de radio, mais qu'aucun parti n'avait acheté la totalité du temps auquel il avait droit sur une station de télévision. En réalité, comme l'a constaté l'arbitre en matière de radiodiffusion lors des élections des dernières années, les petits partis n'utilisent aucunement, en général, la portion du temps payant qui leur est attribuée parce qu'ils n'en ont pas les moyens. Même les partis plus importants se prévalent rarement, sinon jamais, de tout le temps auquel ils ont droit sur chaque station, préférant acheter du temps auprès de quelques réseaux ou stations.

Afin que l'accès au temps d'antenne ne dépende pas entièrement des ressources financières, la Loi prévoit l'octroi aux partis, par certains réseaux, d'un bloc de temps gratuit correspondant au moins au temps gratuit libéré à l'élection générale précédente. Ce temps est réparti entre les partis de la façon suivante :

  • On attribue d'abord deux minutes à chaque parti enregistré et admissible qui a choisi de ne pas participer à la répartition de temps payant. Ce temps est déduit du réservoir disponible.
     
  • Le reliquat est ensuite réparti entre les autres partis enregistrés et admissibles dans la même proportion que le temps payant.

La répartition du temps payant et gratuit aux partis admissibles vise uniquement à régler les cas où un parti admissible accède au statut de parti enregistré durant une élection générale. Un parti admissible qui n'obtient pas l'enregistrement perd son statut de parti admissible, avec la part de temps d'antenne qui l'accompagne.

Louable dans ses objectifs, le système actuel n'est toutefois pas entièrement efficace et efficient, et suscite certaines préoccupations. La répartition du temps payant prévue par la présente Loi restreint indûment la capacité des nouveaux partis d'acheter assez de temps pour présenter leurs idées adéquatement au public. Afin de compenser les répercussions discriminatoires négatives découlant de la formule actuelle, l'arbitre en matière de radiodiffusion se prévaut depuis 1992 du pouvoir discrétionnaire que lui confie la Loi pour modifier la formule de façon à répartir un tiers du temps de base également entre tous les partis enregistrés.

Malgré ces ajustements continus, la formule prévue pour la répartition du temps payant (et, par conséquent, du temps gratuit) continue d'avoir le même effet : les partis enregistrés jouissant d'un plus large appui reçoivent plus de temps que les partis enregistrés moins populaires. Par exemple, à la 38e élection générale, un réseau tenu de fournir du temps gratuit a accordé 65 minutes de temps gratuit au Parti libéral du Canada et 47 minutes au Parti conservateur du Canada, tandis que le Parti Progressiste Canadien et le Parti Libertarien du Canada recevaient seulement 3 minutes chacun51. De même, le Parti libéral du Canada a eu droit à 122 minutes et demie de temps payant, et le Parti conservateur du Canada à 88 minutes et demie, alors que le Parti Progressiste Canadien et le Parti Libertarien se voyaient attribuer 6 minutes chacun.

Le lien de dépendance actuel du régime de temps gratuit par rapport au régime de temps payant rend le système largement artificiel, puisque les partis sont tenus de participer à la répartition du temps payant (qu'ils n'utiliseront peut-être pas) pour avoir droit au temps gratuit.

Par ailleurs, puisque seuls les « réseaux » sont tenus de libérer du temps gratuit, le régime dépend d'un arrangement organisationnel dont l'importance est en déclin à l'échelle nationale52. En effet, seuls deux réseaux de langue anglaise existent encore au Canada : CBC-TV et CBC Radio One.

Sous le régime actuel, les réseaux peuvent libérer le temps gratuit requis aux heures qu'ils jugent appropriées et offrir ce temps en tranches dont la longueur est établie à leur guise. L'arbitre en matière de radiodiffusion a constaté que le temps gratuit est généralement offert en blocs de cinq ou dix minutes, d'ordinaire programmés avec d'autres blocs de temps gratuit.

Enfin, bien que la Loi vise à garantir aux partis le taux applicable le plus bas lorsqu'ils achètent du temps payant, l'arbitre estime que cette disposition est mal formulée et n'atteint pas son objectif. À son avis, la disposition n'assure pas aux candidats et aux partis l'accès aux mêmes taux que ceux réservés aux meilleurs clients commerciaux des stations et permet à celles-ci d'imposer des tarifs beaucoup plus élevés pour les messages politiques53.

L'idéal serait d'avoir un dispositif législatif efficient qui saurait :

  • reconnaître l'importance de la radio et de la télévision comme moyens de communication en période électorale;
     
  • reconnaître que les ressources de radiodiffusion ne sont ni illimitées ni gratuites;
     
  • assurer à l'électorat un accès adéquat aux idées des partis qui reflètent ses aspirations et ses croyances, ainsi qu'aux idées nouvelles ou émergentes;
     
  • reconnaître l'importance pour les partis de déterminer quand et comment ils rejoindront l'électorat;
     
  • procurer aux partis un accès réel et adéquat au temps d'antenne.

Il faudrait donc réformer le régime de répartition du temps d'antenne afin qu'il soit plus simple et mieux adapté aux principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Figueroa, et qu'il assure à l'électorat un accès adéquat aux points de vue des partis établis et des partis émergents. La recommandation qui suit correspond en grande partie à celle formulée en 2001 dans le rapport Moderniser le processus électoral :

  • Chaque parti enregistré devrait avoir le droit d'acheter à chaque radiodiffuseur un maximum de 100 minutes de temps payant au taux unitaire le plus bas.
     
  • Chaque radiodiffuseur devrait être soumis à une limite maximale de 300 minutes. Si l'ensemble des demandes de temps présentées à une station par les partis enregistrés dépasse cette limite, les 300 minutes devraient être distribuées à ces partis dans les mêmes proportions que leurs demandes.
     
  • Chaque parti enregistré devrait alors avoir le droit d'acheter à chaque radiodiffuseur du temps payant additionnel au taux unitaire le plus bas, sous réserve du temps d'antenne disponible.
     
  • Les partis pourraient acheter du temps payant seulement dans les limites de leur plafond de dépenses.
     
  • Chaque radiodiffuseur (par opposition à réseau) devrait être tenu de libérer 60 minutes de temps gratuit aux heures de grande écoute, divisées à parts égales entre les partis enregistrés.
     
  • Cette répartition du temps payé serait considérablement plus simple que la méthode actuelle, et ne risquerait pas d'enfreindre les principes constitutionnels reconnus dans Figueroa.

Ce régime de répartition donnerait à tous les partis enregistrés sensiblement plus de temps gratuit qu'ils n'en reçoivent actuellement.

Il s'agirait d'un système beaucoup plus simple que celui qui est en place, et il ne nécessiterait pas de répartition annuelle. De plus, il augmenterait l'accès du public aux messages des partis plus récents ou moins connus tout comme à ceux des partis établis, ce qui pourrait revitaliser l'intérêt de la population envers le processus électoral.

Ce nouveau régime n'entraînerait pas de coûts supplémentaires pour les contribuables ni les radiodiffuseurs, puisqu'il ne mobiliserait pas du temps que ces derniers auraient pu vendre à d'autres acheteurs. Le temps d'émission politique n'est pas considéré comme du temps publicitaire soumis à la limite des 12 minutes applicable aux télédiffuseurs (elle ne semble pas avoir d'équivalent dans le milieu radiophonique). Enfin, les exploitants ne perdraient pas de revenus, puisque les partis qui achètent déjà du temps payant continueraient probablement de le faire, en complément de leur temps gratuit.

Les différends continueraient d'être réglés par l'arbitre en matière de radiodiffusion.


49 Au sens de la Loi, les « heures de grande écoute » sont, dans le cas d'une station de télévision, la période comprise entre 18 h et 24 h, et dans le cas d'une station de radio, les périodes comprises entre 6 h et 9 h, 12 h et 14 h ainsi que 16 h et 19 h.

50 (1995), 123 D.L.R. (4th) 366 (C.A. Alb.)

51 Voir le Rapport du directeur général des élections du Canada sur la 38e élection générale tenue le 28 juin 2004, p. 73 à 75.

52 En 1997 et en 1993, l'arbitre en matière de radiodiffusion affirmait que la notion de « réseau » ne lui apparaissait plus suffisante pour faire la distinction entre les obligations des stations et celles des groupes de stations (Rapport du directeur général des élections du Canada, 1993 et 1997).

53 Il n'existe aucun règlement provincial ou territorial sur la fourniture de temps d'antenne en période électorale (quoique le Québec et le Nouveau-Brunswick autorisent les radiodiffuseurs à fournir du temps sur une base volontaire), et seules quatre provinces réglementent les tarifs de radiodiffusion. Par exemple, Terre-Neuve-et-Labrador oblige les radiodiffuseurs et les éditeurs à offrir aux partis et aux candidats le tarif le plus bas offert à un autre parti durant la période de publicité électorale et en dehors de celle-ci (E.A., par. 226.2(2)).

La Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis recommandait d'obliger les radiodiffuseurs à offrir aux partis enregistrés du temps d'antenne facturé à 50 % du tarif appliqué aux autres annonceurs durant la même période (rec. 1.6.18).