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Prévenir les communications trompeuses avec les électeurs

1. Chronologie des faits


Les recommandations contenues dans le présent rapport visent à prévenir différentes formes de communications trompeuses avec les électeurs et ne se limitent pas aux actes commis lors de la 41e élection générale. Cela dit, il est important de rappeler les circonstances qui ont donné lieu au présent rapport et à ses recommandations. Cette partie du rapport fait le point sur ce que l'enquête a jusqu'ici révélé au public sur les événements dans Guelph et dans d'autres circonscriptions, ainsi que sur les diverses démarches subséquentes au Parlement et devant les tribunaux.

Premiers appels et plaintes (dans Guelph et ailleurs)

Les journées précédant le jour du scrutin, le jour de l'élection même (le 2 mai 2011) et les journées suivantes, Élections Canada a reçu un certain nombre de plaintes au sujet d'appels automatisés, prétendument d'Élections Canada, les avisant à tort du changement de leur lieu de scrutin (principalement dans Guelph, mais aussi dans d'autres circonscriptions).

L'organisme a également reçu d'autres plaintes d'électeurs faisant état d'appels répétés, irritants, voire agressifs, tantôt automatisés, tantôt de vive voix; d'autres appels auraient été reçus tard le soir, des jours de fête religieuse, ou de numéros accompagnés d'un indicatif régional américain. Ces appels auraient été faits au nom de candidats qui, souvent, ont ensuite nié en être à l'origine.

Dans un cas, un centre d'appels professionnel a reconnu que certains électeurs avaient reçu de l'information erronée concernant leur lieu de scrutin en raison de données inexactes ou périmées.

Enquête sur les plaintes dans Guelph

L'information qui suit est déjà du domaine publicNote 1. Elle est résumée ici afin de mettre le rapport en contexte, et non pour sous-entendre ou présumer le résultat de l'enquête.

De nombreux électeurs de la circonscription de Guelph se sont plaints d'appels reçus vers 10 h, le 2 mai 2011. La voix à l'appareil a été décrite comme une voix féminine enregistrée prétendant appeler de la part d'Élections Canada. Le message informait l'électeur que, comme l'on s'attendait à une augmentation de la participation électorale, son lieu de scrutin avait changé d'adresse. Rien n'était vrai : l'appelante ne représentait pas Élections Canada, et aucun lieu de scrutin n'avait changé d'adresse dans cette circonscription.

Le numéro indiqué sur l'afficheur des destinataires était le même pour tous. L'enquête a révélé plus tard qu'il s'agissait du numéro d'un téléphone cellulaire facturé à l'utilisation et activé le 30 avril 2011. Le nom de l'abonné dans les dossiers de Bell Canada était Pierre Poutine, habitant la rue Séparatiste, à Joliette, au Québec. Ni ce nom ni cette rue n'existent à Joliette.

Il a été établi que le téléphone de Pierre Poutine a uniquement servi à appeler deux numéros, tous deux assignés à une entreprise de diffusion de messages vocaux d'Edmonton, qui a également fourni des services à une campagne dans Guelph.

L'individu à l'origine des appels a été accepté comme client par l'entreprise de diffusion de messages vocaux. Les dossiers de l'entreprise indiquent que 7 676 appels, dont le numéro demandeur correspondait à celui attribué à cet individu, ont été effectués à des numéros de téléphone de Guelph le 2 mai 2011, entre 10 h 03 et 10 h 15 (heure avancée de l'Est). Les numéros de téléphone sur cette liste concordent avec ceux d'une liste de personnes qui n'appuient pas un certain parti politique, liste qui aurait pu être obtenue de la base de données de ce parti.

L'individu a utilisé un faux nom et une fausse adresse dans ses communications avec l'entreprise (Pierre Jones, au 54, rue Lajoie, à Joliette, au Québec). Cette adresse n'existe pas à Joliette.

Il a utilisé PayPal pour payer les services de l'entreprise, et a fourni à PayPal les mêmes faux nom et adresse. Les paiements (d'un montant total de 162,10 $) ont été faits au moyen de trois cartes Visa prépayées, achetées dans deux magasins Shoppers Drug Mart à Guelph. Tous les paiements ont été effectués depuis un ordinateur avec la même adresse IPNote 2, par l'entremise d'un serveur mandaté, qui permet à l'utilisateur de dissimuler l'emplacement de l'ordinateur. L'individu a aussi utilisé le serveur mandaté pour communiquer avec l'entreprise de diffusion de messages vocaux à certaines occasions.

À d'autres occasions, l'individu a communiqué avec cette entreprise à partir d'une adresse IP associée au bureau de campagne d'un candidat dans la circonscription de Guelph. Le personnel de ce bureau a utilisé la même adresse IP pour ses communications légitimes avec l'entreprise, ainsi que pour l'accès à la base de données du parti politique.

Les appels aux électeurs ont été effectués par l'entreprise de diffusion de messages vocaux au moyen de la technologie de services de téléphonie sur protocole Internet (VolP). Les appels VoIP se font par ordinateur et sont transmis, par Internet, aux téléphones des destinataires. Cette technologie permet au fournisseur du service de programmer, au gré du client, le numéro qui apparaîtra sur l'afficheur des destinataires. Il est donc possible que ce numéro n'ait rien à voir avec l'origine réelle des appels.

Divulgation par les médias en février 2012 de documents judiciaires sur l'enquête

Après la divulgation de ces renseignements dans les premiers articles parus le 23 février 2012 et les jours suivants, plus de 40 000 communications ont été reçues de la part d'électeurs. La plupart exprimaient de l'indignation à l'idée qu'on tente d'affaiblir le processus électoral par des appels mensongers ou trompeurs aux électeurs. Toutefois, bon nombre d'électeurs de partout au pays ont signalé des cas précis d'appels inappropriés.

Enquête sur les plaintes provenant d'autres circonscriptions

À l'extérieur de Guelph, les plaintes au sujet d'appels inappropriés se sont échelonnées sur une plus longue période. Bien qu'un certain nombre de plaintes aient été reçues pendant la 41e élection générale et dans les mois qui ont suivi, le commissaire aux élections fédéralesNote 3 en a reçu plus d'un millier après les reportages du 23 février 2012.

Certains plaignants ont indiqué avoir reçu, le jour de l'élection ou autour de cette date, des appels téléphoniques de vive voix ou enregistrés d'une personne qui, selon bon nombre d'entre eux, prétendait appeler au nom d'Élections Canada, pour les aviser du changement d'adresse de leur bureau de scrutin. Dans presque tous les cas, la nouvelle adresse était plus éloignée du lieu de résidence de l'électeur et moins accessible.

Certains plaignants auraient aussi reçu des appels irritants, en raison de l'heure ou de la fréquence des appels, dans les semaines qui ont précédé le jour de l'élection, prétendument pour recueillir des appuis en faveur d'un candidat ou d'un parti politique fédéral en particulier. Des enquêteurs d'Élections Canada ont ensuite communiqué avec les représentants des partis et des candidats au nom desquels les appels auraient été effectués, et ces personnes ont pour la plupart nié avoir effectué de tels appels ou y avoir contribué.

Comparution du directeur général des élections devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre

En raison de la couverture médiatique de février 2012 et du débat public qui s'en est suivi, le directeur général des élections a demandé à comparaître devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre afin d'expliquer des aspects importants des processus d'administration et d'enquête d'Élections Canada. Cette comparution a eu lieu le 29 mars 2012.

Ce jour-là, le directeur général des élections a déclaré que près de 800 plaintesNote 4 avaient été reçues au sujet de cas précis d'appels inappropriés ou frauduleux. Il s'est engagé à présenter, au plus tard le 31 mars 2013, un rapport qui examinerait les défis posés par de tels appels et recommanderait des améliorations au cadre législatif.

Autres faits connexes

Le 12 mars 2012, la Chambre des communes a adopté la motion suivante à l'unanimité :

Que, de l'avis de la Chambre, le gouvernement devrait, d'ici les six prochains mois, présenter des amendements à la Loi électorale du Canada ainsi qu'à toute autre loi au besoin afin de garantir que : a) les pouvoirs d'enquête d'Élections Canada soient renforcés en accordant au Directeur général des élections le pouvoir d'exiger de tous les partis politiques le dépôt des documents nécessaires pour assurer leur conformité avec la Loi électorale; b) toutes les compagnies de télécommunications fournissant des services de contacts avec les électeurs au cours d'une élection générale soient enregistrées auprès d'Élections Canada; c) l'identité de tous les clients de compagnies de télécommunications au cours d'une élection générale soit enregistrée et vérifiéeNote 5.

De mars à décembre 2012, 19 pétitions ont été déposées à la Chambre des communes au sujet des événements survenus pendant la 41e élection générale. La plupart d'entre elles réclamaient une enquête exhaustive et indépendante, et l'une d'entre elles demandait que les députés « adoptent immédiatement une loi qui conférerait à Élections Canada la capacité de rétablir la confiance du public à l'égard du processus électoral canadienNote 6 ». Dans ses réponses aux pétitions, le gouvernement a d'abord convenu de l'importance de maintenir la confiance des Canadiens en l'intégrité du système électoral. Il a ensuite fait part de son intention d'effectuer un examen global de la Loi électorale du Canada, au cours duquel il tiendrait compte, entre autres, des recommandations attendues du directeur général des élections et de celles du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre.

Le 23 mars 2012, sept personnes ont déposé à la Cour fédérale des requêtes distinctes visant à faire annuler les résultats de la 41e élection générale dans chacune de leurs circonscriptions, conformément à l'alinéa 524(1)b) de la Loi. Les motifs suivants ont été invoqués : des appels téléphoniques ont été faits volontairement à des électeurs appuyant les candidats de partis en particulier afin de leur transmettre de faux renseignements au sujet de leur lieu de scrutin, et ces appels frauduleux ont influé sur les résultats de l'élection. Les circonscriptions touchées sont Don Valley-Est (Ontario), Nipissing–Timiskaming (Ontario), Winnipeg-Centre-Sud (Manitoba), Elmwood–Transcona (Manitoba), Saskatoon–Rosetown–Biggar (Saskatchewan), Île de Vancouver-Nord (Colombie-Britannique) et Yukon. La requête en contestation de l'élection dans Don Valley-Est a par la suite été retirée. L'affaire a été entendue par un juge de la Cour fédérale en décembre 2012, mais, en date du 15 mars 2013, aucune décision n'avait encore été rendue.

En juin 2012, une autre requête a été déposée par le candidat du Parti Marijuana dans Guelph pour contester l'élection dans cette circonscription. Le requérant affirme que des appels inappropriés, qui semblaient provenir d'Élections Canada et dirigeaient les électeurs vers des bureaux de scrutin inexistants, auraient influé sur les résultats de l'élection, c'est-à-dire le nombre de votes exprimés en sa faveur. Cependant, il n'avance pas que le député intimé, dont les partisans ont aussi été la cible de tels appels, n'aurait pas été élu. Le député intimé a présenté une demande en radiation pour un certain nombre de motifs, notamment que la requête a été déposée trop tard. La demande en radiation a été entendue par un juge de la Cour supérieure de justice de l'Ontario le 29 octobre 2012 et, en date du 15 mars 2013, la décision n'avait pas été rendue.

Enfin, le 12 octobre 2012, le projet de loi C-453, qui émane d'un député et s'intitule Loi modifiant la Loi électorale du Canada (messages vocaux frauduleux en période électorale : prévention et poursuites judiciaires), a été déposé et lu pour la première fois à la Chambre des communes. Le projet de loi vise à modifier la Loi électorale du Canada afin d'ériger en infraction le fait, pendant une période électorale, de communiquer sciemment des faux renseignements, de se présenter frauduleusement comme un fonctionnaire électoral dans des messages vocaux relatifs à l'élection, ou de contribuer à de telles communications frauduleuses. De plus, il prévoit que les partis enregistrés, les candidats, les tiers qui font de la publicité électorale et les associations de circonscription doivent, sur demande, fournir au directeur général des élections ou au commissaire aux élections fédérales certains renseignements concernant les messages vocaux. Le projet de loi prévoit aussi que les entreprises et autres personnes embauchées pour communiquer des messages vocaux doivent fournir certains renseignements au directeur général des élections. Enfin, il érige en infraction le fait de contrevenir à l'une ou l'autre des dispositions susmentionnées. Ce projet de loi n'a pas encore franchi l'étape de la deuxième lecture.

Situation actuelle

Le commissaire a reçu des plaintes de plus de 1 400 électeurs de 247 circonscriptions, qui auraient reçu des appels les induisant en erreur quant à l'adresse de leur bureau de scrutin, ou des appels qu'ils ont qualifiés d'impolis, de harcelants ou d'irritants, en raison de l'heure ou de la fréquence de ces appels. Parmi les plaignants, 252 provenaient de la circonscription de Guelph. L'enquête se poursuit et au moment d'aller sous presse, aucune accusation n'avait été déposée.


Note 1 Les énoncés suivants sont fondés sur l'information rendue publique grâce aux dossiers de la cour pendant l'enquête du commissaire aux élections fédérales.

Note 2 L'adresse de protocole Internet (IP) est une adresse numérique attribuée à tout ordinateur qui utilise le protocole Internet pour communiquer. On peut déterminer l'adresse physique d'un ordinateur connecté à Internet à partir de l'adresse IP, en consultant la base de données du fournisseur d'accès Internet.

Note 3 Le commissaire aux élections fédérales est titulaire d'une charge créée par la loi et responsable de l'exécution de la Loi électorale du Canada et de la Loi référendaire. Il est nommé par le directeur général des élections conformément à l'article
509 de la Loi électorale du Canada.

Note 4 Il s'agit du nombre de cas d'appels inappropriés signalés par des électeurs, et non pas du nombre de communications reçues d'électeurs indignés ou demandant une intervention. Lors de sa comparution devant le comité le 29 mai 2012, le directeur général des élections a indiqué que le nombre de plaintes concernant de présumés appels frauduleux excédait alors 1 100. Il se situe actuellement à un peu plus de 1 400.

Note 5 Chambre des communes, Journaux, 41e législature, 1re session, no 94, 12 mars 2012.

Note 6 Voir la pétition déposée par M. Kevin Lamoureux (Winnipeg-Nord) le 12 juin 2012.